Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Par Adriana Ermter
« Respire. » Si, chaque fois qu’on m’avait dit ça alors que j’attendais les résultats d’une biopsie, que je devais faire d’autres IRM, avant ou après mon opération, pendant toute la durée du traitement et toutes ces années où je devais prendre du tamoxifène chaque jour, j’aurais actuellement une maison de vacances au Mexique!
Pourquoi les gens se sentent-ils obligés de dire ce genre de choses? Ça semble tellement léger! Ça ressemble à un conseil qu’on recevrait dans un cours de yoga – alors que je n’en même fais pas. Conseiller à quelqu’un de « respirer » est galvaudé, c’est une phrase passe-partout, comme lorsque l’on dit « elle est toxique » ou « elle a des problèmes psychologiques ». Je n’aime pas cette expression et je ne l’utilise pas. Elle est trop simpliste, trop superficielle et donne l’impression qu’on ignore le vrai problème. Respire... Comme si le fait d’inspirer et d’expirer n’était pas automatique! Quelles que soient les bonnes intentions derrière ce conseil, c’est d’une banalité qui donne souvent l’impression d’une certaine condescendance.
De la difficulté à respirer
Paradoxalement, quelques mois avant d’apprendre que j’avais un cancer du sein, j’avais du mal à respirer profondément pendant mes cours de spinning et de Cross Fit. Inquiète, mon médecin a pris rendez-vous pour moi chez un pneumologue, où j’ai passé des heures à alterner souffler dans un tube et retenir sa respiration. Verdict : mes fonctions pulmonaires étaient excellentes! (Merci à la natation synchronisée!) En l’absence de traitement, j’ai donc continué à être essoufflée jusqu’à ce qu’on découvre la tumeur dans mon aisselle droite et qu’on détermine que c’était ça la cause de mon essoufflement. Je suis persuadée que le fait que mon corps ait arrêté de pouvoir respirer profondément pendant l’effort étant un signe du cancer. Alors, croyez-moi quand je vous dis que la seule respiration consciente que je voulais faire à ce moment-là, où j’ai reçu mon diagnostic, c’était de respirer dans un sac en papier!
Maintenant que cela fait près de quatre ans que je suis en rémission, c’est un conseil que j’entends de moins en moins souvent. Et j’en suis bien contente! Surtout quand je suis stressée pour un rendez-vous chez mon oncologue ou que j’attends les résultats d’une mammographie ou d’une IRM. Je suis reconnaissante de pouvoir voir mon docteur et faire toutes ces analyses. Je préfère largement être stressée quelques jours que de ne pas pouvoir faire ces analyses parce qu’un médecin ou une étude datant des années 80 aurait décrété que cela pourrait causer un stress inutile que le patient ne serait peut-être pas capable de gérer. Je peux le gérer. Je suis une femme forte et compétente, et je peux gérer mes propres émotions ainsi que le stress lié aux analyses. Par contre, j’ai de la difficulté avec les platitudes!
Armons-nous contre les platitudes
Les gens disent des platitudes quand ils ne savent pas quoi dire ou peut-être est-ce parce qu’ils veulent se montrer supérieurs sur le plan émotionnel? Je ne sais pas. Quelle qu’en soit la raison, ce n’est ni apprécié, ni souhaité, ni bénéfique. On devrait rédiger une liste de choses à dire et à ne pas dire aux femmes atteintes d’un cancer du sein et la vendre dans les pharmacies, près des pansements ou du Tylenol! Les choses à dire apparaîtraient en noir et en gras, et comprendrait des expressions comme « Ça craint! », « Je suis là si tu as besoin d’en parler », « Tu n’as pas mérité ça », « Est-ce que je peux te prendre la main? ». Et les choses à ne pas dire seraient « Tu vas t’en sortir! », « Le mental est plus fort! », « Il faut rester positive! », « Tu es capable de t’en sortir! », « Il faut que tu te visualises en bonne santé », « Prenons une minute », « Concentre-toi sur ce qui est important » et bien sûr, mon expression favorite : « Respire! ».
Ce type de positivité d’apparat est vide de sens et n’a aucune place dans ma vie. Ce n’est pas que je veuille rester malade et me complaire dans ma situation. Loin de là. Je ne m’apitoie pas non plus sur mon sort et je ne me concentre pas uniquement sur le négatif. Je suis une battante. Je suis une survivante. J’ai droit au respect. Je suis consciente qu’il y a des moments où on doit être positif, mais aussi qu’il y en a d’autres où on doit être réaliste.
Comprenez notre réalité
Être réaliste, c’est reconnaître que le cancer m’a fait perdre mon autonomie physique. Toutes les analyses et les examens qu’on doit faire, ces jaquettes bleues rugueuses et tellement laides d’hôpital qu’on doit porter, les énormes et longues aiguilles qu’on nous insère dans le corps, les biopsies et l’opération au cours de laquelle on nous enlève un morceau de chair de la taille d’un poing m’ont enlevé une part de mon humanité.
Je n’étais plus qu’un corps. Un corps qui se tenait debout, dénudé de la tête à la taille, dont les seins étaient comprimés entre deux plaques de métal; un corps qu’on attachait à un lit en métal, face contre sol, dans une salle glaciale et qu’on insérait dans l’appareil à IRM et à qui on demandait de ne plus bouger pendant deux heures; un corps que l’on triturait dans tous les sens et que l’on mettait dans des positions inconfortables, couché sur le dos, alors que d’énormes appareils se déplaçaient autour de lui pour prendre des radios; un corps qui pouvait être ausculté et touché en tout temps par n’importe quel professionnel de la santé.
Être réaliste, c’est aussi reconnaître qu’on n’est personne, qu’on est juste un numéro. Le cancer du sein est tellement commun que les médecins, les infirmières, les radiologues, les oncologues et les chirurgiens que l’on voit sont trop occupés pour se laisser aller à des mondanités, comme des présentations ou s’enquérir de ce que l’on ressent vraiment. Ils n’acceptent pas toujours qu’on leur pose des questions et, souvent, ne prennent pas la peine de bien y répondre. Il existe un mince décalage tacite entre ce que les médecins veulent et ce que, en tant que patientes, nous voulons et ça me rappelle ces années dans ma jeunesse, quand je faisais du mannequinat et que je devais porter un numéro sur ma poitrine et rester debout au milieu de centaines d’autres filles qui me ressemblaient en tout point.
Et puis, il y a la réalité après l’opération et les traitements, avec le raidissement des articulations, la sécheresse vaginale, le brouillard cognitif et les pertes de mémoire, les bouffées de chaleur et les sueurs et l’hormonothérapie, qui ont éradiqué ma capacité à fonctionner au jour le jour. C’était la période où on n’est pas assez malade pour être hospitalisée ni en assez bonne santé pour mener une vie normale.
Aidez-nous à évoluer
Pour l’instant, je me trouve dans une zone de flou, où le cancer a pris le contrôle de mes seins et de ma peau, de mon énergie, de ma production de collagène, de ma jeunesse et de ma libido. En plus de désormais faire partie de ma vie pour toujours, il m’a donné des kilos en plus et des cicatrices dues à l’irradiation, noircit et creusé mon aisselle et le côté de mon sein droit, et laissé de grosses et de petites cicatrices çà et là, comme un lot de rappels permanents que je ne serai plus jamais la même. J’ai pratiquement fait la paix avec tout cela. J’ai accepté que ma vie ne soit plus pareille. Le plus difficile, toutefois, est le fait que le cancer ait déformé mon intégrité et mon sentiment de féminité. Je ne suis plus aussi apte, alerte et vive qu’avant. Je manque d’assurance dans ma sexualité et dans ma capacité à avoir des relations intimes et je n’arrive pas à me laisser aller à une relation. Et ce n’est pas en « respirant » que tout cela va se résoudre.
Seul le travail que je continue à faire sur mes pensées et ma façon de voir les choses peut m’aider. Il n’y a pas de mal à dire « merci, mais non merci » aux gens qui nous conseillent de « respirer ». Par contre, j’apprécierais toujours qu’on me dise « merci de m’en avoir parlé », « j’aimerais te voir », « allons se promener », « t’as besoin d’en parler? », « t’as le temps d’aller prendre un verre? », « as-tu vu ton oncologue dernièrement? », « t’as des nouvelles de ton cancer? », « j’apporte le souper » et « tu es fantastique! ». Car pour moi, ce sont là des marques de soutien authentique.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Living Luxe, Figure Skater Fitness et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec ses deux chatons, Murphy et Olive. Vous pouvez la suivre sur Instagram (@AdrianaErmter).
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