Par Adriana Ermter
Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Pour la plupart d’entre nous, un peu comme la couleur du ciel, la succession du passé, du présent et du futur est une évidence. Même la science définit le temps comme une mesure de la durée qui s’écoule entre deux événements. Alors pourquoi, quand on a un cancer, le temps semble-t-il si désordonné? Ce serait tellement plus facile de pouvoir vivre uniquement dans le présent.
Le cancer au passé
Quand j’ai appris que j’avais un cancer du sein, j’ai été sous le choc et le temps s’est arrêté… jusqu’à ce que la réalité de ma situation me rattrape. J’ai commencé alors à vivre dans le passé. Je m’y suis littéralement plongée afin de comprendre pourquoi cette maladie me touchait, moi, alors que personne dans ma famille ne l’avait eue. Et alors que je naviguais dans ce passé brumeux, je me posais des questions sur la signification du cancer. De mon cancer. Les médecins me disaient que le cancer du sein pouvait toucher n’importe qui, mais je voulais analyser mon passé pour comprendre pourquoi cette tumeur potentiellement mortelle et non sollicitée s’était développée en moi. J’en avais besoin.
J’ai commencé à accuser toutes les vodkas-martinis et les cigarettes mentholées que j’avais bues et fumées pendant ma vingtaine et au début de ma trentaine. Mais ce n’était pas ça. Mes réflexions se sont alors tournées vers tous les mauvais hommes pour qui j’avais eu le béguin et avec qui je n’étais jamais sortis, et ceux avec qui j’étais sortis et avec qui j’étais restée alors que la relation aurait dû se terminer depuis bien longtemps. Ce n’était pas ça, non plus. Prête à tout pour trouver une raison à cette calamité et pouvoir rejeter la faute de ce qu’il m’arrivait sur quelqu’un, j’ai fait comme Alice et je me suis enfoncée dans les spirales du passé, fouillant chacun de mes souvenirs à la recherche de réponses qui ne venaient jamais. Bien que ces fouilles s’avéraient être une perte d’énergie inutile, j’ai continué jusqu’à mon opération et le début des traitements.
Le cancer au futur
Le fait qu’on m’enlève une petite boule composée de peau, de chair, de ganglions lymphatiques et, bien sûr, de la tumeur, m’a propulsée dans le futur. Cette cicatrice et ce pli permanents qui s’étendaient de mon aisselle à mon sein droit paraissaient me donner la direction vers laquelle je devais regarder. Tout ce qui m’importait, c’était de me rétablir : sortir de mon lit, me lever de mon canapé et reprendre ma vie en main. Cette perspective a été ma bouée de sauvetage. Je voulais absolument changer les choses. C’était ma seule raison de vivre pendant ces longs mois de traitements, d’extrême fatigue et de nausées, et toutes ces horribles années où j’ai dû composer avec le tamoxifène et sa multitude d’effets indésirables.
Je m’accrochais à ce rêve en fantasmant sur la façon dont, une fois que j’aurais de l’énergie, je démissionnerais de mon travail — qui payait certes mon hypothèque, mais qui était ô combien déprimant — et quitterais ma chef que je n’aimais pas, et dont je pourrais enfin m’établir comme éditrice et rédactrice à la pige, à temps plein. Mais aussi sur la façon dont je pourrais chercher, créer et partager plus de joie. Je rêvais même à ma rencontre avec un homme formidable. J’ai passé beaucoup de jours plongée dans ce futur imaginaire, où je vivais insouciante et sans cancer. Pour être honnête, beaucoup de ce que j’avais imaginé s’est réalisé. Maintenant débarrassée de cet emploi morose, j’ai créé ma propre entreprise d’édition et de rédaction, ce qui me permet de travailler sur des projets gratifiants avec des gens merveilleux. Et après une pause de 20 ans, je suis de retour à la piscine où j’entraîne une équipe de natation synchronisée. Je n’ai pas encore rencontré cet homme formidable dont je rêvais, mais je ne perds pas espoir. J’attribue tout cela à mon changement d’état d’esprit, qui n’a rien à voir avec le temps passé à fantasmer ce futur, mais qui est plutôt dû aux petits changements que j’ai effectués quotidiennement pour que ce futur devienne une réalité.
Le cancer au présent
Ces petits changements m’ont permis de sortir de mon fantasme et de vivre dans le présent. En y repensant bien, c’est ce que j’aurais dû faire dès le départ — et tout au long de la maladie. Toutefois, ancrer ma vie et mes désirs dans le présent ne m’est pas venu naturellement. Cela m’a demandé — et me demande toujours — une attention et un dévouement quotidiens. Chaque heure, je dois me rappeler d’identifier clairement mes désirs et de ressentir ce que je ressentirai une fois que je les aurai accomplis. En gros, il s’agit de penser à des choses agréables — ce qui peut paraître super cliché, je sais, mais ça fonctionne pour moi, parce que c’est en me concentrant sur ces choses agréables que j’arrive à obtenir des résultats.
Oui, revivre le passé est beaucoup plus facile. On s’y sent à l’aise et en sécurité, parce que c’est un livre que l’on a déjà lu et relu, et que l’on connaît l’introduction, le déroulement et la conclusion. Le passé ne réserve aucune surprise. Mais ce n’est pas une façon de vivre. Le passé n’est pas mon ami, parce qu’il m’amène à mettre en cause des situations, des gens et des moments au lieu de chercher en moi les réponses à mes questionnements. Le futur ne l’est pas non plus, car bien que ce soit un endroit plus joyeux, rempli d’espoir et de potentiel, il s’agit d’un rêve, d’une utopie.
Le vrai pouvoir réside dans le présent. Quand je respire, mange et dors à un instant précis, je ne me laisse pas embarquer dans l’engrenage temporel du cancer, je ne me retrouve pas coincée et je ne limite pas mes émotions. Vivre dans le présent me permet de savoir exactement ce que je veux — santé, amour, abondance, etc. — et de ressentir les bonnes émotions. Plus j’accorde de temps, d’attention et de réflexion à mes désirs, plus je ressens de la positivité et plus j’entreprends des changements qui me permettent de les réaliser. Je ne fantasme pas mon avenir, je crée ma propre réalité. Je choisis de me concentrer sur moi, sur les aspects de ma vie et de moi-même que j’aime, et sur ceux que je souhaite faire évoluer. Le présent est l’endroit où je me sens le mieux et qui me permet de m’épanouir.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Living Luxe, Figure Skater Fitness et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec ses deux chatons, Murphy et Olive. Vous pouvez la suivre sur Instagram (@AdrianaErmter).
Photo par Aya McMillan