Par Adriana Ermter
Dans notre chronique mensuelle, la rédactrice en chef et autrice principale Adriana Ermter partage ses expériences personnelles avec le cancer du sein.
Je suis une personne très ouverte à propos du cancer du sein. J’ai choisi de m’exprimer parce que je veux éliminer la stigmatisation, mettre en lumière des sujets rarement abordés et aider d’autres femmes à se sentir moins seules. Lorsque j’ai reçu mon diagnostic, il ne m’est pas venu à l’esprit qu’un jour je voudrais partager tous les détails de mes expériences avec le cancer en écrivant une chronique mensuelle, mais la vie est étrange… et voilà. Je m’en réjouis. Surtout quand je reçois un message direct sur mon compte Instagram d’une femme que je ne connais pas, qui fait face à son propre diagnostic de cancer du sein et qui cherche du soutien.
Cette femme, qui vient de recevoir son diagnostic, est comme moi (et peut-être comme vous), et ne se retrouve pas dans ses émotions. Elle essaie d’accepter le fait d’avoir un cancer et toutes les émotions qui l’accompagnent. Quand j’ai lu ses mots, ils ont résonné en moi, malgré le fait que je sois en rémission depuis cinq ans. Et plus je les lisais, plus ils me ramenaient en arrière, jusqu’au jour où j’ai reçu mon diagnostic.
Diagnostic
Je n’ai pas pleuré quand j’ai appris la nouvelle. C’était plus surréaliste que ça, plus viscéral, comme si la pièce et tout ce qui était en moi étaient devenus immobiles et que je flottais hors de moi. La panique m’a envahie plus tard. Après l’arrivée des résultats de ma biopsie et que mon médecin m’ait expliqué le stade et le grade de mon cancer, le risque de récidive et mon plan thérapeutique, on m’a envoyée faire une batterie de tests sur mes organes vitaux. Ensuite, je me souviens m’être assise dans un bar minable avec ma meilleure amie, en train de boire une vodka martini à 11 h du matin. Je ne pensais qu’à une chose : « J’ai un cancer ». Mais je n’arrivais pas à saisir cette idée… à lui donner du sens. Alors, j’ai pris un autre martini, puis un troisième. Je n’ai jamais été aussi sobre de ma vie! Pendant les premières journées qui ont suivi mon diagnostic, la peur de mourir ne m’a pas traversé l’esprit. C’était plus l’effondrement de tout ce que je tenais pour acquis : ma santé, ma capacité à travailler, mes objectifs professionnels, mes projets d’avenir. Avec l’encre de la signature de mes papiers de divorce à peine sèche, avoir un cancer et être nouvellement seule m’a porté un coup au ventre. Comment allais-je faire? Est-ce que je pourrais encore rembourser mon prêt hypothécaire, m’occuper de mon chat âgé et bien-aimé qui avait ses propres problèmes de santé et être vraiment, vraiment malade? J’avais l’impression d’être foutue, comme si le divorce et le fait de devoir réécrire mon avenir et tout recommencer n’étaient pas suffisants. Je ne savais pas très bien comment j’allais tenir le coup. Une étude de 2024 publiée dans la National Library of Medicine montre que plus de 85 % des femmes ressentent une forte anxiété immédiatement après un diagnostic de cancer du sein. J’ai caché mes émotions et je ne les ai jamais partagées avec quiconque, mais je me sentais anxieuse chaque jour. L’école de médecine de Harvard explique cette réaction par l’amygdale, le système d’alarme du cerveau, qui détecte les menaces — et le cancer est la menace ultime. L’amygdale s’active tandis que la partie du cerveau responsable de la raison et des pensées calmes se désactive. C’est normal. Nous ne sommes pas faits pour nous sentir en sécurité dans l’incertitude.
L’attente, l’intervention, le traitement… et l’attente. Encore.
Et puis vient l’attente. L’attente pour connaître le grade, le stade, le type de cancer du sein, le traitement nécessaire, le déroulement de la chirurgie, ou pour savoir si une récidive est possible… Attendre n’importe quelle information sur le diagnostic. Même en étant en rémission et que l’on passe des examens annuels, l’attente est une forme de torture. Des études publiées dans Patient Education and Counseling et dans la National Library of Medicine ont montré que l’anxiété atteint son pic pendant la période d’attente des résultats de la biopsie ou du rapport de pathologie, plus qu’à n’importe quel autre moment du traitement. En ne sachant pas, on se fait des films. La plupart du temps, il s’agit d’histoires où l’on se demande ce qu’on fera « dans le pire des cas ».
Avant ma chirurgie, j’ai ressenti une nouvelle vague de panique. Pas une panique à l’égard de l’opération en soi, mais à propos de ce que je ressentirais en me réveillant. Est-ce que je reconnaîtrais encore mon corps? À quoi ressemblerait mon sein droit? Est-ce que je me sentirais encore moi-même? Pendant le traitement, ma peur a pris un nouveau visage; cette fois, c’était l’épuisement, les effets secondaires, le fait de me voir m’éteindre, vieillir et me transformer en quelqu’un que je ne reconnaitrais pas dans le miroir. Une partie de cela s’explique par le traitement et les médicaments, une autre par le stress inhérent au cancer. Un article publié en 2025 dans le BMC Cancer Journal a révélé que plus de la moitié des femmes qui suivent un traitement éprouvent une anxiété clinique. Ce n’est pas une faiblesse : c’est de la biologie. Notre corps est assiégé, nos hormones sont déréglées, notre sentiment de contrôle est réduit en miettes.
La récupération
Quand mon traitement de plusieurs mois a pris fin, je pensais enfin pouvoir me détendre et redevenir moi-même. Au lieu de cela, je me suis sentie perdue. La récupération semble paisible, mais ce n’est pas le cas. Elle se déroule dans le silence; et dans ce silence, la peur revient sournoisement. Je ressens encore une pression dans la poitrine à chaque examen d’imagerie de suivi. Même maintenant, cinq ans plus tard, et malgré la rémission, je ressens toujours une vague de panique avant chaque contrôle annuel. Je fais partie du percentile le plus élevé pour le risque de récidive. L’anxiété est donc bien réelle, mais je ne suis pas une exception. Une étude de 2019 publiée dans les American Cancer Society Journals montre que la peur de la récidive touche jusqu’à 70 % des survivantes du cancer du sein.
Ce que j’ai appris, c’est que ces sentiments — la panique, l’impuissance, ces pensées folles qui me traversent l’esprit à 4 heures du matin — font partie de l’expérience. Ils émergent quand je perds le contrôle, quand je n’ai pas toutes les réponses, quand j’ai l’impression de ne pas être vue ou entendue, et quand je dois attendre le prochain examen d’imagerie, le prochain test, le prochain résultat. Cela ne signifie pas que je suis faible ou que j’en fais tout un plat.
Gérer tous les sentiments
J’ai aussi appris que repousser ces sentiments ne fonctionne pas. Alors, j’essaie de les gérer du mieux que je peux
Je nage et je marche. Il y a quelque chose dans le mouvement bilatéral qui m’apaise. Je l’ai toujours utilisé pour surmonter un obstacle. Alors, quand j’ai reçu mon diagnostic de cancer, je me suis dit que je pourrais bien utiliser cette méthode pour m’apaiser. La natation est vite devenue impossible, mais je pouvais encore marcher; j’ai donc commencé (et je continue) à faire de la marche à chaque fois que j’en ai besoin. La Mayo Clinic appelle cela la « méditation en mouvement », un type de stimulation bilatérale qui aide le cerveau à gérer le stress et à envoyer des signaux de sécurité. Le site BreastCancer.org note que marcher régulièrement peut réduire l’anxiété et améliorer les résultats du traitement. C’est simple, mais ça m’aide à exercer un certain contrôle sur ma santé et ma vie.
La nuit, je prends un complément de magnésium avant d’aller au lit : un truc que mon médecin traitant m’a donné pendant mon divorce. Cela fonctionne aussi pour mon anxiété liée au cancer, car il favorise la relaxation et un meilleur sommeil, et mieux dormir signifie que mon système nerveux ne s’emballe pas autant pendant la journée. Un article publié par le UCLA G. Oppenheimer Center for Neurobiology of Stress and Resilience montre que le magnésium aide à réguler le cortisol, l’hormone du stress qui nous maintient en mode « lutte ou fuite ». (Avant de prendre des compléments, discutez-en toujours avec votre médecin.)
Quand les « et si? » commencent à m’envahir, j’écris. Pas pour que quelqu’un me lise, mais tout simplement pour évacuer la peur et toute cette merde de ma tête. Tout écrire à la main dans un carnet donne une forme à la peur, et une fois qu’elle a une forme, elle semble moins pénible. La Société canadienne du cancer est du même avis et recommande la tenue d’un journal intime pendant le traitement et la récupération pour cette raison précise. Mettre ses sentiments sur le papier sollicite aussi la partie rationnelle du cerveau que l’anxiété met hors service, ce qui est toujours une bonne chose.
Et parfois, je me contente de m’asseoir ou de m’allonger et de respirer. Je n’aime pas quand les autres me disent de « respirer, tout simplement », mais je dois admettre que ça fonctionne. De plus, c’est simple. Je ferme les yeux et je me concentre sur l’inspiration et l’expiration, ou, si je suis en public ou en train de conduire, je fais quelques respirations profondes, je les retiens un instant avant d’expirer lentement.
La vérité, c’est que la vie avec le cancer du sein (et la vie d’après) n’est pas une question d’éliminer la peur. Honnêtement, je ne crois pas que ce soit possible, mais il est possible de lui faire de la place, à toute la peur. J’essaie aussi de revoir ma façon de percevoir et de réagir à mes émotions liées au cancer, et de continuer à les ressentir sans les laisser me submerger. C’est un processus et parfois j’échoue complètement, mais tout ce que je peux faire, c’est continuer d’essayer. Parce que j’ai appris que guérir, c’est non seulement survivre au cancer du sein, c’est aussi faire preuve de compassion pour toutes les émotions que je ressens encore et d’apprendre à vivre en tant que nouvelle personne, avec un cœur ouvert, même quand je ressens de l’incertitude.
Adriana Ermter est une écrivaine et rédactrice plusieurs fois primée. Vous pouvez lire ses travaux dans IN Magazine, 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca et AmongMen.com. Ancienne directrice beauté pour FASHION et rédactrice en chef pour les magazines Salon et Childview, elle vit à Toronto avec ses deux chats de refuge très gâtés, Murphy et Olive. Suivez Adriana sur Instagram @AdrianaErmter.