Par Quinn Obrigewitch
À l’âge de 30 ans, ma mère a eu un cancer du sein triple négatif, ce qui supposait la présence très probable d’une mutation génétique. Le cancer du sein triple négatif est un sous-type très agressif et moins commun du cancer du sein qui survient, de manière disproportionnée, chez les jeunes femmes. Il existe peu d’options pour le traiter, ce qui fait que les traitements sont généralement plus agressifs. Tout cela est dû au fait que le cancer du sein triple négatif peut malheureusement être d’origine héréditaire et être lié à la présence des mutations génétiques BRCA1 et BRCA2. Les mutations génétiques ne sont pas forcément de mauvaises choses. En fait, c’est plutôt le contraire. Ce sont les mutations génétiques qui font que nous sommes différents de nos voisins, que nos yeux sont de telle couleur ou que nous soyons protégés contre certaines maladies. Les mutations génétiques sont nécessaires à l’évolution : le monde autour de nous s’adapte, nous nous adaptons, puis le monde s’adapte de nouveau, tout cela selon un flux harmonieux. En revanche, les mutations BRCA1 et BRCA2 mettent en danger les personnes qui en sont porteuses par rapport à leur environnement.
Les gènes BRCA sont des gènes suppresseurs de tumeurs qui agissent un peu comme des agents de circulation dans notre organisme. Ils ont, dans chaque main, un panneau Arrêt qui indique aux cellules en duplication qu’elles ont rempli leur tâche et qu’elles peuvent cesser de se dupliquer. Il arrive, parfois, qu’en raison de la rudesse de l’environnement, l’un des panneaux Arrêt se perde. Mère nature a donc prévu deux gènes, BRCA1 et BRCA2, qui peuvent assurer leur fonction, le cas échéant. La mutation d’un de ces gènes entraîne la perte de la fonction du gène in utero, ce qui signifie que les personnes porteuses d’une mutation BRCA ne sont équipées que d’un seul panneau Arrêt. Si elles venaient à perdre ce seul panneau, leurs cellules ne recevraient plus de signal d’arrêt et commenceraient à se multiplier de façon incontrôlable. C’est pour cela que le cancer du sein héréditaire survient tôt et qu’il est difficile à traiter.
Il est donc facile de comprendre le rôle essentiel que joue le dépistage génétique dans la prévention et le diagnostic des cancers du sein. En réalité, c’est ce qui m’a sauvé la vie. Après avoir reçu son diagnostic, ma mère nous a très tôt parlé — à mes sœurs et à moi — du danger auquel nous serions peut-être confrontées au début de l’âge adulte. Elle nous a souvent répété que nous devions être vigilantes. À l’atteinte de nos 18 ans, nous étions chacune impatientes à l’idée de pouvoir enfin faire un dépistage génétique pour les mutations BRCA, conformément à la politique sanitaire en l’Alberta. Je me rappelle avoir accompagné ma sœur aînée à son rendez-vous et avoir écouté ce que sa conseillère en génétique lui avait dit. Nous avions été reçues dans un endroit chaleureux, sécuritaire et confortable où on avait dressé notre arbre généalogique et où nous avions appris plein de choses sur les gènes BRCA et leur fonction, ainsi que sur les conséquences que pouvaient avoir les mutations au niveau de ces gènes. Le rendez-vous n’avait duré qu’une heure, mais nous étions reparties avec une multitude d’informations, apeurées par ce dont notre corps était capable, mais soulagées d’avoir pu agir avant le cancer. Et puis, j’étais impatiente de parler à mes amies des panneaux Arrêt qu’elles avaient en elles!
Lorsque j’ai eu 18 ans, en mai 2018, j’ai pris rendez-vous avec mon médecin. Je n’avais pas peur, j’étais plutôt impatiente de lui demander une recommandation pour faire un dépistage génétique. J’avais tellement appris lors du rendez-vous de ma sœur, quelques années auparavant, que j’avais commencé à faire du bénévolat auprès de la conseillère en génétique de notre ville — travail qui consistait principalement à l’aider dans l’organisation de ses dossiers. J’avais hâte de la rencontrer à nouveau et je savais que je pouvais lui faire confiance dans l’analyse de mes antécédents génétiques. Mon médecin traitant étant en congé de maternité, j’ai été reçue par un remplaçant. Je viens d’une ville relativement petite où tout le monde se connaît. Par conséquent, tout le monde savait qu’environ dix ans auparavant, que ma mère avait eu un cancer du sein et que, depuis, elle militait pour un meilleur système de santé. C’est donc avec une grande surprise que je me suis retrouvée à devoir relater au remplaçant tout mon historique familial en matière de cancer du sein et d’autres types de cancers, et qui plus est, que je me suis heurtée à de la résistance de sa part : « Qui est cette “conseillère en génétique” que vous tenez absolument à voir? Je n’ai jamais entendu parler d’elle. En général, les patients ne réclament pas de dépistage génétique. » Je lui ai donc réexpliqué en long et en large mon historique familial, que ma sœur était allée voir une conseillère en génétique et que je devais absolument, moi aussi, faire ce dépistage. Je suis sortie du rendez-vous le sourire aux lèvres, contente d’avoir su défendre mes intérêts et ma lettre de recommandation dans la main.
Mon rendez-vous avait lieu deux semaines plus tard, au début du mois de juin. J’avais déjà rencontré la conseillère en génétique des centaines de fois, et pourtant j’étais extrêmement nerveuse. Je connaissais le déroulement de ses rendez-vous par cœur et j’aurais pu, par moi-même, lui dire tout ce qu’il y avait à dire. Mais, je commençais à prendre toute la mesure de la situation. Elle m’a demandé comment je me sentais, ce à quoi j’ai répondu en toute honnêteté, et puis elle m’a envoyé faire ma prise de sang. Le dépistage génétique se fait généralement à partir d’un échantillon de sang, mais il peut également se faire à partir d’un échantillon de salive ou d’un frottis buccal.
Le génome humain correspond un peu aux différents chapitres d’un livre, dans lequel chaque lignée constitue une histoire à part entière. La recherche d’un gène dans un génome équivaut à feuilleter les pages d’un livre pour trouver quelque chose. Lorsque l’on commence le livre, il est difficile de savoir où se trouve un chapitre donné, il faut donc lire le livre dans sa totalité et de manière attentive pour pouvoir le trouver. Une fois que l’on a lu le livre et compris de quoi il s’agissait, on peut alors placer un marque-page au début du chapitre recherché pour pouvoir plus facilement effectuer des recherches plus tard.
Ma mère a été la première personne dans ma famille à faire un dépistage génétique. Elle a dû attendre un an avant que son génome soit entièrement exploré. Ma sœur et moi ayant bénéficié de l’exploration préalable de son génome — c’est-à-dire que la partie d’intérêt du génome avait déjà été identifiée, j’ai pu recevoir mes résultats, par téléphone, en septembre 2018, soit trois mois après ma prise de sang. C’est ma conseillère en génétique qui m’a appelée, elle m’a gentiment demandé comment je me sentais et si je voulais qu’elle m’envoie des ressources sur le sujet, dont les coordonnées de groupes de soutien pour personnes porteuses de la mutation BRCA1. J’ai poliment refusé, car pour moi, le meilleur soutien que je pouvais recevoir était celui de ma mère et de ma sœur. Voilà, c’est comme ça que c’est terminé mon expérience avec la conseillère en génétique.
Les années qui ont suivi ont été marquées par des dépistages du cancer du sein à intervalles réguliers ainsi que des décisions à prendre. J’ai choisi, par mesure préventive, de me faire enlever tout le tissu mammaire afin de réduire les risques de survenue du cancer du sein. Et aujourd’hui, quatre ans plus tard, je suis contente de pouvoir suivre les directives normales de santé publique en matière de dépistage du cancer du sein. En me montrant qu’il me manquait un panneau Arrêt, le dépistage génétique m’a permis d’entrevoir une possibilité dans mon avenir. J’ai pu alors prendre les mesures nécessaires pour rester en santé autant que possible et le plus longtemps possible pour moi-même, mais aussi pour mes amis et ma famille. J’ai donc subi deux opérations pour être plus sereine à l’avenir. Et tout cela, à cause d’un ridicule petit panneau Arrêt.