Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Par Adriana Ermter
J’ai de la jasette. J’aime communiquer et parfois (d’accord, souvent) je parle trop. J’ai besoin de savoir ce qui se passe et pourquoi il en est ainsi. Et dans ma vision très yin et yang des choses, je suppose que puisque je dis tout, toutes les autres personnes font de même. Mais, ce n’est pas le cas.
Lorsque j’ai reçu mon diagnostic de cancer du sein, on m’a jetée sans gilet de sauvetage dans une mer de terminologie médicale. Heureusement, je nage plutôt bien. Je pose aussi beaucoup de questions pour obtenir les renseignements dont j’ai besoin. De plus, je sais comment effectuer des recherches et vérifier les faits en m’appuyant sur des sources crédibles offertes en ligne comme les sites de la Société canadienne du cancer et de l’Organisation mondiale de la santé. (Non, Wikipédia, les médias sociaux et YouTube ne constituent pas des sources fiables.) J’ai ainsi pu me maintenir à flot dans ces eaux inconnues en m’informant le plus possible sur le cancer du sein. Lorsque je ne trouvais pas de réponse, je harcelais poliment les détenteurs de ladite information, c’est-à-dire la plupart du temps le personnel médical de la clinique, jusqu’à ce qu’ils crachent le morceau. Dans le cadre de mon travail d’auteure et d’éditrice, cette méthode fonctionne habituellement. Mais cette fois-là, encore, ce n’a pas été le cas.
Il est nécessaire d’effectuer vos propres recherches
Voici la situation, ma vision du moins. Le diagnostic d’un cancer du sein ordinaire (et le mien appartenait à cette catégorie) est devenu une procédure relativement simple et sa prévalence, tellement élevée chez les femmes, que les médecins et les équipes d’oncologie s’avèrent incapables de fournir l’accompagnement que méritent les patientes atteintes d’un cancer du sein, moi y compris. Mais je comprends. Ce cancer est comme la Kit Kat des cancers : présent partout, facile à obtenir de façon aléatoire et plutôt fade en raison de son universalité. Selon les estimations statistiques de la Société canadienne du cancer pour l’année 2020, le cancer du sein se classe au premier rang puisqu’il représente à lui seul 25 pour cent de tous les nouveaux cas de cancer chez les Canadiennes.
Mon diagnostic et mon opération n’étaient que des procédures parmi tant d’autres. Une visite dans la salle d’attente d’une clinique pour le cancer du sein ou d’un hôpital vous convaincra. Toutes les chaises sont occupées. Souvent, des femmes font la queue dans le corridor ou autour de la salle, dans leur chemise d’hôpital, en attendant qu’une place assise se libère. Nous sommes si nombreuses, trop nombreuses en fait. Et le personnel médical disponible pour nous aider, lui, est trop peu nombreux. Selon la Société canadienne du cancer, 27 400 femmes ont reçu ou recevront un diagnostic cette année. Cela représente 2300 nouveaux cas mensuellement. Chaque semaine, 575 femmes se présentent dans les cliniques et les hôpitaux du pays pour passer des tests et recevoir un diagnostic. Et il ne s’agit que des nouveaux cas de cancer.
Lorsque j’étais un de ces nouveaux cas, je me rappelle me demander qui serait l’infirmière ou le ou la médecin qui parlerait beaucoup, expliquerait, écouterait et répondrait aux questions pour m’aider à m’y retrouver. Ce n’a pas été le chirurgien avec ses grandes généralisations qui ont suivi son « vous avez le cancer du sein » ni l’infirmière qui a surligné en jaune tous les mots d’un dépliant qu’elle m’a remis 20 minutes après l’annonce de mon diagnostic. Et croyez-moi, il ne s’est pas agi du tout du médecin-enseignant, une des quatre personnes qui a effectué la biopsie de mes quatre lésions au sein en l’espace de deux semaines, qui a regardé en ma direction et a griffonné dans mon dossier médical avant de quitter la salle d’examen. J’étais couchée, à moitié nue, et il est parti sans même jeter un coup d’œil en arrière ou répondre à mes questions. En bref, il n’y a personne pour vous accompagner du début à la fin. J’aurais bien aimé que ce soit le cas. Vous devenez responsable de colliger l’information dont vous avez besoin.
La consultation de sites Web de renom, crédibles et axés sur la santé, comme ceux de Santé Canada et de la Mayo Clinic, m’a fourni de précieux outils pour me prendre en main. Ces sites offrent des renseignements très détaillés sur le cancer du sein, des foires aux questions éclairantes et faciles à comprendre et des sections consacrées à la prise de décisions concernant les traitements. M’informer sur la maladie, sur les différentes interventions possibles (une tumorectomie dans mon cas, aussi connue sous le nom de mastectomie partielle) et sur d’autres sujets m’a procuré un sentiment de contrôle dans une situation incontrôlable. Il ne faut pas confondre cette diligence raisonnable avec le fait de se rendre sur le site WebMD et de tenter d’en arriver à un autodiagnostic : il s’avère très difficile de parvenir à un résultat exact. Cette diligence raisonnable se définit plutôt comme la lecture et l’apprentissage pour acquérir des connaissances véridiques et factuelles sur les faits, les choix et les options offertes pour parvenir à un apaisement. Si je n’avais pas agi ainsi et que je m’étais contentée de me fier à la documentation et aux vagues généralités fournies par le personnel de la clinique, j’aurais eu l’impression d’être mal préparée pour participer aux discussions à propos de mon corps. À mon avis, ce manque de connaissances jumelé à une confiance aveugle, c’est mauvais pour tous.
Ce n’est pas tout de respirer
J’ai ressenti le désir de frapper à la gorge tous ceux qui me disaient de respirer. Je ne sais pas quand exactement l’expression respirer par le nez est devenue populaire, mais dire à un nouveau patient atteint d’un cancer de respirer, comme si tout deviendrait alors plus simple comme par magie, me paraît condescendant. Je déteste cela. Oui, les respirations profondes calment et ramènent à la réalité, mais je n’ai jamais agi de façon hystérique, incontrôlable ou déraisonnable. Je n’ai jamais insulté quiconque ou eu des mots durs. Je n’ai jamais éclaté en sanglots, même cela aurait pu s’avérer libérateur. Je suis demeurée futée, préparée, pondérée, proactive et curieuse. Cela ne veut toutefois pas dire que je ne me sentais pas dépassée. Le jargon médical ne m’effrayait pas : ce ne sont que des mots. Il y a des dictionnaires et une fois les mots incompris expliqués, le tour est joué. Je me suis sentie submergée par la charge émotive que tout cela suscitait.
Ironiquement, même si je suis de nature extravertie, depuis mon divorce, je suis beaucoup plus prudente quand je choisis les personnes à qui je révèle l’ampleur de ma vulnérabilité. En tant que célibataire et divorcée, je ne profite plus d’une présence rassurante à mes côtés. Et l’amie à qui je confiais habituellement mes sentiments les plus profonds fréquentait quelqu’un à cette époque. Elle était distraite et non disponible. Je comprenais, mais ça m’attristait tout de même. Cependant, cette situation m’a forcée à accepter l’aide des membres de mon cercle restreint et à les laisser m’accompagner. Cela peut paraître simple à première vue, mais ce ne l’était pas pour moi. Je savais que je m’étais bâti une carapace après mon divorce, mais je n’en avais pas réalisé l’épaisseur. Permettre à mes trois amis les plus proches de me voir vulnérable et partager mes peurs s’est avéré très libérateur. Ils m’offraient une rétroaction et un point de vue nouveau. Je me suis tout de même présentée seule à presque tous mes rendez-vous médicaux. Avant ma tumorectomie, mes rendez-vous avaient lieu quasiment tous les jours et je trouvais cela injuste de demander à quelqu’un de s’absenter du travail pour m’accompagner. De plus, aucun de mes amis n’aurait pu se trouver avec moi dans la salle d’examen, là où j’aurais eu le plus besoin de leur présence.
Alors je me suis permis de leur dévoiler toutes mes nouvelles médicales. Avoir une personne à mes côtés pour passer en revue les questions pour lesquelles je voulais des réponses et pour échanger s’est avéré inestimable. C’est incroyable de constater à quel point mon entourage s’est mobilisé quand j’ai sollicité de l’aide. Ma sœur Alida a décidé d’être à mes côtés lors de mon opération et de ma convalescence et elle me l’a dit en m’annonçant avoir réservé un vol en provenance de Calgary. Je n’aurais jamais osé le lui demander et pourtant, elle le savait. Elle n’a pas attendu mon invitation et a pris les commandes. Si, à l’époque, j’avais su à quel point ce type de soutien s’avérerait utile et nécessaire, je l’aurais demandé. Mais je ne le savais pas, alors je n’ai pas osé. Je serai éternellement reconnaissante envers Alida d’avoir quitté sa famille pendant une semaine pour venir prendre soin de moi. J’avais besoin d’une personne à mes côtés et non pas de visites ponctuelles. J’avais besoin qu’une personne habite avec moi, cuisine mes repas, me donne mes médicaments au bon moment, nourrisse ma chatte Trixie, me supervise, me dise quand me reposer, quand manger et quand me coucher. Je vivais seule. Je croyais pouvoir me rétablir seule, mais maintenant, je sais que cette indépendance isole trop et qu’avoir quelqu’un à ses côtés est préférable.
Vous n’aurez jamais trop d’égoportraits avec les seins nus
Posséder un soutien-gorge souple et doux pour dormir facilite le rétablissement après une tumorectomie. Ce fait est surligné en jaune dans un de mes nombreux dépliants reçus au cours des premiers jours. Mais il s’agit que d’une suggestion dissimulée dans une liste de recommandations floues. Je n’y ai donc pas prêté attention jusqu’à ce qu’une amie de mon cercle élargi, qui avait elle-même souffert d’un cancer du sein quelques années plus tôt, m’en parle.
Magasiner pour un soutien-gorge en coton et sans armature n’a pas été très agréable. Je ne sais pas pourquoi cela a suscité autant d’émotions chez moi. Peut-être est-ce parce que j’ai magasiné pendant ma pause-repas, dans le but de cocher cette chose à faire le plus rapidement possible pour passer à une autre. Le choix déprimant qui s’offrait à moi et les dames qui magasinaient en même temps que moi n’ont pas aidé. La clientèle ressemblait à celle de la salle d’attente de la clinique : ces femmes avaient au moins dix ans de plus que moi. J’avais l’impression que mon corps m’avait trahie. Parcourir la section des soutiens-gorges moches a exacerbé ces pensées négatives auxquelles s’est rajoutée celle que je demeurerais célibataire jusqu’à la fin de mes jours. Qui voudrait fréquenter une femme divorcée dans la quarantaine au sein droit mutilé ? Je ne dis pas que cette pensée était rationnelle, mais elle était bien présente.
Avant mon diagnostic de cancer, je percevais de façon très positive mes seins. De taille correspondant à un bonnet B, ils étaient ronds et fermes. Ils paraissaient bien dans tous les vêtements tout en n’attirant pas trop l’attention, ce qui ne m’obligeait pas à prendre des précautions additionnelles pour les couvrir en public. Alors, quand je me suis retrouvée dans la salle d’essayage avec mes soutiens-gorges déprimants, j’ai profité de la présence d’un miroir en pied. Même si des bandages dus aux biopsies subies la veille décoraient mes seins, je les ai pris en photos. Je voulais pouvoir me rappeler comment ils étaient, à quoi ils ressemblaient. Je désirais aussi capturer cette fierté que suscitaient chez moi mes seins et mon corps.
C’est curieux de constater comment le fait de savoir qu’une partie de mon sein serait retirée a remis en question mon idée de la féminité. D’un point de vue rationnel, je sais qu’il s’agit d’un monologue intérieur insensé, mais j’éprouve encore du mal à composer avec l’apparence de mon corps, de mon sein droit. Néanmoins, posséder les photos de mes seins nus m’insuffle de la force. Quand je commence à être entraînée dans une succession de pensées négatives à propos de mon image corporelle, je ressors ces photos, je les regarde et je souris. Elles me rappellent qui j’étais et qui je suis devenue.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Figure Skater Fitness et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec sa chatte très gâtée Trixie-Belle. Vous pouvez la suivre sur Instagram au @AdrianaErmter