Par Adriana Ermter
Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et autrice Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Le cancer du sein n’apparaît pas du jour au lendemain. Il se tapit dans les cellules, il mute et se développe jusqu’à ce qu’il se manifeste sous la forme d’une masse. Du moins, c’est comme ça que ça s’est passé pour moi. Dieu seul sait combien de temps il s’est caché dans mon corps, en attendant de se manifester avant que je ne le découvre. Je ne m’y serais jamais attendue, principalement parce que je n’ai pas d’antécédents familiaux. Les cheveux fins? Ça, oui. Un bon collagène facial? Ça aussi. Les problèmes de thyroïde de ma mère? Peut-être. Les mauvais genoux de mon père? J’en ai déjà un. Mais le cancer du sein? Il n’était pas sur mon radar.
Pourtant, selon les experts en cancer du sein du monde entier, y compris ceux de BreastCancer.org, il aurait dû l’être, car 85 % des cancers du sein surviennent chez des femmes sans antécédents familiaux. Les services de santé publique du gouvernement du Canada indiquent qu’une femme sur huit en aura un au cours de sa vie… et cela à tout moment. Malgré le fait que la Société américaine du cancer indique que l’âge médian du diagnostic est de 62 ans, les femmes plus jeunes sont également susceptibles d’être touchées. Et lorsque j’ai découvert ces faits peu réjouissants, j’ai commencé à broyer du noir.
Sans aucun lien dans la famille, je m’en suis voulu d’avoir un cancer du sein : je m’en suis voulu de m’être exposée au soleil enduite d’une épaisse couche d’huile pour bébé pendant mon adolescence; mais aussi pour avoir bu trop de martinis à la vodka et fumé des cigarettes mentholées dans la vingtaine et la trentaine; ou encore pour être sortie avec des hommes qui n’en valaient pas vraiment la peine, pendant des décennies et à plusieurs reprises dans certains cas; pour avoir intériorisé mes émotions, pour avoir pris du poids, pour avoir divorcé, pour avoir pris la pilule, ou pour ne pas avoir eu d’enfants — ma liste d’erreurs et d’horreurs perçues était longue. Et pourtant, comme mon oncologue me le rappelait sans arrêt, le cancer du sein frappe de manière aléatoire et sans raison apparente le plus souvent. Je devais arrêter de m’en vouloir.
Ça n’a pas été facile et ça ne l’est pas toujours. J’ai subi ma chirurgie et mon traitement en me blâmant et en m’humiliant. Par conséquent, j’ai gardé mon diagnostic pour moi, et je ne parlais pas vraiment de mes expériences avec quiconque sauf avec mon cercle restreint de confidents, jusqu’à ce qu’une amie me pousse à écrire un article sur mon expérience. J’ai alors commencé à m’ouvrir et à chercher une autre manière de la vivre.
Étrangement, c’est en adoptant cette attitude que l’idée m’est venue de me donner un but et de me passionner pour ma maladie. Un but et une passion, oui, mais pas dans le sens romantique du terme; plutôt dans la manière de contenir mon attention et mon énergie pour adopter une perspective plus saine face à ma maladie. J’ai commencé par canaliser mes émotions en écrivant sur mes expériences ici, pour vous, pour moi et pour la communauté du Réseau canadien du cancer du sein, dans l’espoir d’apporter des éclairages à des femmes comme moi. L’écriture a été, et est encore, cathartique : elle m’aide à me concentrer moins sur moi-même et plus sur les autres, sur la manière de les soutenir, plutôt que de m’enfermer dans mes sombres pensées et mes émotions pas très positives. Cet état d’esprit ne vient pas naturellement chez moi, mais j’y travaille, car la vie, surtout avec un diagnostic de cancer, est chaotique. Mais à chaque mot que je tape, je me sens moins isolée et plus déterminée. L’écriture évacue une partie de mon stress et me permet d’établir un lien avec d’autres femmes. J’en ai besoin. Je suis célibataire et je vis seule.
En 2020, j’ai écouté le balado d’Adam Grant de 2019, Work Life, dans lequel il se penche sur « Les dangers de suivre sa passion professionnelle », et j’ai eu l’impression que ses paroles pouvaient se transposer à ma santé. Dans cet épisode, il explique comment se cultive la passion au travail — mais ne se découvre pas. Lorsque j’ai fait le lien entre son approche et mon expérience avec le cancer du sein, il a trouvé un profond écho en moi. Je n’avais aucune passion pour cette maladie. Je ne voulais pas avoir un cancer du sein. Je ne voulais pas devenir une autre statistique. Je ne voulais pas prendre de tamoxifène. Mais j’ai pourtant reçu mon diagnostic, je suis aussi maintenant une statistique et j’ai pris du tamoxifène. Et maintenant, même si je ne le souhaite pas, je m’inquiète d’une récidive possible. Tout cela est pénible. Pourtant, quand j’ai suivi les conseils de Grant et que j’ai choisi de développer ma propre forme de passion et d’objectif en lien avec mon diagnostic (ce qui a pris une éternité et que je continue d’essayer de faire parce que je suis têtue), ma manière de penser a changé. Voici ce que j’ai appris :
1. Prenez votre santé en main
L’idée que la passion ou le but apparaissent comme par magie est un mythe. Lorsque j’ai reçu mon diagnostic, mon combat contre le cancer ne me passionnait pas du tout. Honnêtement, je me sentais plus paralysée et submergée qu’autre chose. Heureusement, je sais activer automatiquement mon « mode combat ». Alors, quand je suis passée en « mode combat » pour trouver des informations sur le cancer du sein, sur les traitements, des statistiques et sur tout ce qu’il y avait à apprendre pour mieux pouvoir écrire des articles pour d’autres femmes dans ma situation... ça a été utile. Et, plus je m’impliquais, plus je consacrais de temps aux autres, plus j’ai commencé à prendre le contrôle de ma santé.
Pourquoi est-ce utile? En mettant moins l’accent sur l’attente de l’inspiration et plus sur la culture active de la passion, vous donnez un sens aux tâches les plus décourageantes, comme les séances de traitement quotidiennes et la rédaction de listes de questions avant chaque rendez-vous chez le médecin. En matière de soins de santé, susciter plus de passion se traduit par une participation active : poser des questions, comprendre vos options et trouver ce qui vous motive vraiment à vous battre chaque jour.
Mesures à prendre :
- Informez-vous : commencez petit. Penchez-vous sur des ressources crédibles au sujet du cancer du sein et ses options de traitement. La connaissance renforce la confiance.
- Fixez-vous des objectifs personnels : cela pourrait se traduire par boire un peu plus d’eau, bouger un peu plus chaque jour, ou trouver des manières de gérer votre stress. J’aime encore aller au lit et me lever tôt. Chaque petit pas vous permet d’avancer.
- Nouez des relations : joignez-vous à un groupe de soutien, ou contactez une personne qui a connu votre situation. Une personne de mon âge en qui j’avais vraiment confiance avait traversé ma situation. On se connaissait, car nous avions toutes les deux travaillé pour des magazines féminins, mais on ne s’était jamais vraiment rencontrées jusqu’à ce qu’elle lise mon premier article sur mon diagnostic et qu’elle me contacte sur Instagram. À ce moment-là je subissais une radiothérapie, et c’était exactement ce dont j’avais besoin. Ayant été atteinte d’un cancer du sein un an avant moi, elle savait ce à quoi je me mesurais et ce que je ressentais. Elle était la preuve vivante que, moi aussi, j’en étais capable (comme moi, nous avons toutes les deux reçu un diagnostic de cancer du sein avant même que ne sèche l’encre des signatures au bas de nos papiers de divorce) et que j’étais suffisamment forte mentalement pour aller de l’avant. Elle est aujourd’hui l’une de mes amies les plus chères.
2. Acceptez que la perfection n’existe pas
L’une de mes plus grandes difficultés a été d’apprendre à faire taire ma critique intérieure. Le cancer du sein ne s’accompagne pas d’un manuel et mon esprit insistait pour que tout soit de ma faute. Je me suis reproché d’avoir le cancer, de ne pas avoir été plus proactive, de ne pas avoir de mari pour me tenir la main tout au long du cheminement, ou de ne pas avoir suivi le traitement la tête froide. Cela n’a pas aidé quand l’amie d’une amie m’a expliqué à quel point elle aimait ses rendez-vous de radiothérapie quotidiens à 7 h 30, car cela lui permettait d’arriver un peu plus tôt au bureau. Genre, et puis quoi encore? Quand j’ai entendu ça, j’ai eu envie de la frapper. Le truc, c’est que personne n’est parfait et que personne ne gère cette maladie à la perfection. Au lieu de cela, ce qui compte vraiment, c’est de se montrer à la hauteur du mieux possible, jour après jour. Pour moi, être à la hauteur c’était de me sentir prête, d’avoir un paquet de biscuits GoldFish, un livre facile à lire dans mon sac à main, ainsi que beaucoup de papier toilette dans la salle de bain et d’avoir en tout temps un sac de nourriture pour chat en réserve sous l’évier de la cuisine. Mon super pouvoir consistait à assurer l’essentiel et de dire « merde » à tout le reste.
Pourquoi est-ce utile? Dans son balado, Grant explique que le fait de se focaliser sur ses forces procure un sentiment d’autonomie. C’est logique. Lorsqu’on traverse une crise de santé, la perfection est hors d’atteinte. La force, en revanche, qu’il s’agisse d’avoir un réfrigérateur bien rempli, de pouvoir contacter en un tour de main des amis qui vous écouteront sans compter ou, mieux encore, qui vous feront momentanément oublier votre vie en parlant d’eux-mêmes pendant 30 minutes d’affilée sans vous poser une seule question, est bien réelle et elle vous appartient.
Mesures à prendre :
- Identifiez vos forces : peut-être êtes-vous une personne organisée qui sait planifier; ou tout simplement une personne qui fait preuve de résilience. Écrivez vos forces. Célébrez-les.
- Redéfinissez la réussite : la réussite ne consiste pas à tout faire correctement. Il s’agit plutôt de faire ce qui fonctionne pour vous : réussir à aller à un rendez-vous médical par vous-même, à demander de l’aide ou à faire une pause quand vous en avez besoin.
- Pratiquez l’auto-compassion : traitez-vous comme vous traiteriez un ami. Célébrez les petites victoires. Oubliez les erreurs et reconnaissez votre travail acharné. Je me blâme encore, mais je sais de mieux en mieux être bonne envers moi-même.
3. Alignez votre passion et votre objectif
Le balado de Grant soulignait que la passion se développe lorsqu’elle est en phase avec un objectif, et non lorsqu’elle devient une obsession. Pour moi, cela signifiait que je devais passer de l’étape « vaincre le cancer » à celle d’une vie qui me semblait pleine de sens et de savoir que je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour me sentir mieux (notamment frotter de l’huile de lavande sur ma poitrine le soir pour m’aider à me détendre et à mieux dormir), indépendamment de mon diagnostic.
En changeant mon fusil d’épaule, tout a changé. Au lieu de faire une fixation sur ce que je ne pouvais pas contrôler et qui me dépassait, j’ai commencé à réfléchir à comment je pourrais utiliser mon expérience pour vivre une vie plus volontaire. J’ai trouvé un objectif dans de petits soins personnels, en racontant mon histoire pour aider les autres, en encadrant des athlètes de natation artistique (anciennement connue sous le nom de natation synchronisée), en faisant de courtes promenades le matin, en me distrayant en regardant une émission de télévision facile à suivre sur une équipe de meneuses de claques, en pensant à toutes ces choses pour lesquelles j’étais reconnaissante dans ma vie, comme mon chat câlin Trixie (elle est décédée depuis et j’adore maintenant mes deux chats tout doux Murphy et Olive), en pensant à mon oreiller extradoux, à mon pantalon de survêtement et à mes amis qui m’apportaient des plats préparés.
Pourquoi est-ce utile? Le fait d’avoir un objectif vous ancre et vous donne une raison de persévérer même quand les choses semblent difficiles. Lorsque vous alignez vos efforts en matière de santé sur une plus grande raison d’être, ils sont moins intimidants et sont plus tenables dans le temps.
Mesures à prendre :
- Trouvez le pourquoi : qu’est-ce qui vous motive à rester en bonne santé? Ce sont peut-être vos enfants, vos animaux de compagnie, votre partenaire ou le désir de voyager et de découvrir le monde. Écrivez vos raisons et revenez-y souvent.
- Intégrez de la joie : pas besoin d’un objectif noble. Ça peut être quelque chose d’aussi simple que de savourer un bon repas que vous n’avez pas dû préparer, de vous assoir sur le balcon et de regarder le lever de soleil, ou de rire avec votre amie de tous les profils amusants des hommes sur les sites de rencontre (c’est quoi toutes ces photos de machos amoureux des bagnoles qui bombent le torse avec leur trophée de pêche?)
- Donnez en retour : partager votre expérience peut avoir un effet thérapeutique. Que ce soit en tenant un journal, en écoutant les histoires d’autres femmes dans un groupe de soutien ou tout simplement en téléphonant à une autre femme qui a elle aussi reçu un diagnostic, trouver des moyens d’aider les autres aura un effet boule de neige.
Quand je pense au chemin que j’ai parcouru depuis mon diagnostic, je ne vois plus le cancer du sein comme un ennemi, mais plutôt comme une partie de mon histoire qui m’a montrée à quel point je suis vraiment forte. Les réflexions de Grant m’ont également rappelé que la passion n’est pas comme un éclair qui déchire le ciel pendant un bref instant, mais un feu qu’il faut entretenir. En prenant de petites mesures délibérées pour prendre ma santé en main, en acceptant mes forces plutôt que mes défauts et en alignant mes efforts sur un objectif plus profond et, plus important encore, en me pardonnant quand je broie du noir (car cela arrive encore), je continue à cultiver la résilience, la joie et l’espoir. Et croyez-moi, j’en ai besoin.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Living Luxe, Figure Skater Fitness et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec ses deux chatons, Murphy et Olive. Vous pouvez la suivre sur Instagram (@AdrianaErmter).