Avec plus de 2,2 millions de cas en 2020, le cancer du sein est la forme la plus commune du cancer selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). On estime qu’une femme sur douze sera atteinte d’un cancer du sein et que celui-ci sera la cause principale de décès par cancer chez les femmes.1 Toutefois, grâce à l’augmentation du taux de détection précoce, aux programmes de dépistage et à l’amélioration des traitements, le taux de survie au cancer du sein n’a cessé de s’améliorer depuis les années 1980.1
Qu’appelle-t-on race et ethnicité?
Parmi les facteurs de risque du cancer du sein, l’OMS constate que la moitié des cas ne sont associés à aucun facteur de risque identifiable si ce n’est le fait d’être une femme et d’avoir plus de 40 ans.1 Bien qu’il s’agisse là des facteurs de risque les plus communs, il semblerait que la race et l’ethnicité contribuent également au développement du cancer du sein. La race se définit par un ensemble de caractéristiques phénotypiques, tandis que l’ethnicité prend en compte les facteurs culturels, les traditions, la nationalité et la langue d’un groupe de personnes. Les chercheurs commencent désormais à se pencher sur le rôle de la race et de l’ethnicité dans le développement du cancer du sein.
En Ontario, les données médicales administratives n’incluent pas de données ethniques.2 Elles sont, en revanche, recueillies par des chercheurs et des organisations indépendantes dans le cadre d’études cliniques. Toutefois, s’agissant du cancer du sein, les études sur les disparités entre les communautés ethniques et raciales sont limitées dans les pays où l’on retrouve une population multiraciale et multiethnique, comme le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni.2 De plus, ces études tendent à se concentrer sur les personnes d’origine caucasienne, noires et afro-américaines, et d’origine asiatique et sud-asiatique, délaissant les personnes d’origine hétérogène.2 Notons également que dans les pays où des données sur la race et l’ethnicité sont recueillies, de nombreuses populations ethnoculturelles sont regroupées, ce qui empêche de comprendre les disparités en matière de santé, de pratiques et de résultats cliniques.2
Que montrent les données actuelles?
On commence de plus en plus à s’intéresser aux corrélations entre la race, l’ethnicité, le développement du cancer du sein, les options disponibles en matière de traitement et le taux de survie. On constate, par exemple, que le taux de cancer du sein est plus élevé chez les femmes d’origine caucasienne et noires et afro-américaines.3 Les femmes d’origine caucasienne sont plus susceptibles de développer un cancer du sein que les femmes noires et afro-américaines, ou d’origine hispanique ou asiatique.4 Bien que minime, la différence qui existe entre les femmes d’origine caucasienne et les femmes noires et afro-américaines peut s’expliquer par la façon dont ces femmes sont affectées par les facteurs de risque : les femmes d’origine caucasienne font des enfants plus tard, elles ont moins d’enfants et elles ont recours à l’hormonothérapie pendant la ménopause.3
Quant aux femmes noires et afro-américaines, bien qu’elles bénéficient d’un risque légèrement moins élevé de développer un cancer du sein, elles connaissent un plus fort taux de mortalité et sont plus susceptibles d’être diagnostiquées à un stade avancé de la maladie et de présenter des tumeurs agressives de haut grade à récepteurs hormonaux négatifs.5,6 Les femmes noires et afro-américaines ont également plus de chance de développer un cancer du sein triple négatif.3 Le lien entre la race et l’ethnicité n’a pas encore été complètement élucidé, mais il semblerait que le mode de vie soit un facteur contributif.3 Enfin, le cancer du sein semble se développer à un âge moins avancé chez les femmes noires et afro-américaines que chez les femmes d’origine caucasienne; la reproduction, le mode de vie et la biologie tumorale pouvant jouer comme facteurs de risque.3
Comment expliquer ces disparités en fonction de la race et de l’ethnicité?
Gardons à l’esprit que les données ethniques étant rarement recueillies au Canada, ces données proviennent des États-Unis. Toutefois, d’importants parallèles peuvent être établis. Ces disparités peuvent s’expliquer par le fait que beaucoup de femmes noires et afro-américaines vivent dans des communautés où le seuil de pauvreté est bien en deçà du seuil de pauvreté fédéral, selon les données du bureau de recensement américain, et où le niveau d’éducation est inférieur au niveau secondaire.6 Il semblerait donc qu’à cause du manque d’instruction et de leur statut socioéconomique, les femmes noires et afro-américaines aient moins accès aux soins, aux programmes de dépistage, à une prise en charge médicale post-diagnostique et aux services de prévention, et qu’elles soient moins susceptibles de survivre à la maladie.6 Cela concerne également les femmes noires et afro-américaines qui détiennent une assurance médicale qui couvrent les frais liés aux mammographies et aux traitements, mais qui, par manque de connaissances ou d’instruction, ne cherchent pas de moyens préventifs dans le cadre d’essais cliniques.6 Elles sont donc sous-représentées dans les essais cliniques, en particulier dans les essais portant sur le traitement du cancer du sein triple négatif.4,5,7
Les femmes d’origine asiatique et sud-asiatique présentent également un risque élevé de cancer du sein. Elles souffrent généralement d’un statut socioéconomique inférieur et sont confrontées à des défis ethnoculturels s’agissant du dépistage et du traitement.2 Ces défis, représentés par les croyances culturelles, les valeurs et la langue, déterminent la quantité de soins qu’elles sont amenées à recevoir.8 Des études ethnoculturelles ont révélé que les femmes d’origine asiatique et sud-asiatique sont diagnostiquées à un plus jeune âge, mais à un stade plus avancé et plus agressif de la maladie.8
Selon des études cliniques réalisées en Europe et en Amérique du Nord, les femmes issues des minorités sont moins susceptibles de participer aux programmes de dépistage et leur taux de survie est inférieur.2 Cette faible participation aux programmes de dépistage et cette méconnaissance du problème sont attribuables aux mythes sur le cancer, aux stigmas qui y sont associés et aux tabous qui entourent le cancer dans les communautés asiatiques et sud-asiatiques.2 Cela comprend notamment les avis négatifs et critiques des aînés qui ne connaissent pas le mode de développement de la maladie et qui la considèrent comme une forme de punition, ainsi qu’un certain nombre de préjugés et de tabous culturels entourant la valeur des femmes et l’honneur familial.8 Les femmes se sentant contraintes de ne pas parler du cancer du sein par peur de compromettre l’honneur ou le statut de leur famille ne cherchent pas à se faire soigner.8
En plus des barrières socioculturelles, l’immigration peut également jouer un rôle dans les chances de survie des femmes atteintes d’un cancer du sein en raison de la différence de culture et de système médical.2 Les faibles taux de dépistage sont en partie dus au fait que les femmes d’origine asiatique et sud-asiatique ne sont pas exposées aux campagnes de sensibilisation et de prévention de leur pays d’origine, ce qui a pour conséquence de retarder le diagnostic.2,8
Enfin, dernier groupe de femmes présentant un risque accru de cancer du sein en raison de facteurs génétiques, les femmes juives ashkénazes — originaires de l’Europe de l’Est — sont plus susceptibles de posséder une mutation des gènes BRCA1 et BRCA2.9 Les juifs ashkénazes représentent environ 80 % de la population juive.10 La mutation des gênes BRCA1 et BRCA2 a été découverte au milieu des années 1990 dans la communauté juive ashkénaze, où il existe un risque de 1 sur 40 d’en être porteur — l’un des risques les plus élevés toutes populations confondues.10 Cette mutation, qui peut être transmise par l’un ou l’autre des parents, accroît les risques de cancer du sein en plus des éventuels autres facteurs de risque.9
Ce facteur génétique relève de ce que l’on appelle « l’effet fondateur », selon lequel un groupe de personnes porteuses des gènes mutés a été isolé géographiquement et culturellement au sein d’un même groupe.9,10 Cet isolement a fait que le nombre de personnes porteuses de la mutation a augmenté au sein du groupe.10 Malgré le risque plus élevé que la moyenne chez les femmes juives ashkénazes d’être porteuses de cette mutation génétique, le dépistage de la mutation des gènes BRCA1 et BRCA2 ne fait pas partie de la norme dans cette catégorie de population.9 De nombreuses femmes juives ashkénazes se découvrent porteuses de la mutation au moment de leur diagnostic de cancer du sein, ce qui limite le recours aux traitements préventifs.9
Quel avenir pour les études sur les facteurs de risque raciaux et ethniques?
Davantage d’études cliniques et de collectes de données basées sur la race et l’ethnicité sont requises pour pouvoir évaluer les risques de développement du cancer du sein et comprendre les disparités qui existent entre les femmes de ces différents groupes. Il faut également mieux former et sensibiliser les professionnels de la santé afin qu’ils puissent reconnaître les façons dont les femmes peuvent être affectées par leur race et leur ethnicité. Bien que ces deux facteurs ne soient pas officiellement considérés comme des facteurs de risque non modifiables du cancer du sein, la recherche clinique montre qu’il y aurait des avantages à les prendre en compte lors de l’établissement d’un diagnostic. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, de plus en plus de centres médicaux prennent désormais en compte la race et l’ethnicité comme facteurs de risque du cancer du sein. Il serait bien que d’autres pays en fassent autant. Cela permettrait au grand public d’en prendre conscience et de connaître les rôles que peuvent jouer la race et l’ethnicité dans le diagnostic et le traitement du cancer du sein, ainsi que le caractère déterminant des statuts socioéconomique et socioculturel et du niveau d’éducation.
Références
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- Susan G. Komen. Race and ethnicity. Disponible à : https://www.komen.org/breast-cancer/risk-factor/race-ethnicity/ (dernier accès le 30 mars 2021)
- Breastcancer.org. Race/ethnicity. Disponible à : https://www.breastcancer.org/risk/factors/race_ethnicity (dernier accès le 30 mars 2021)
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- Yoo, G. J., Levine, E. G., & Pasick, R. (2014). Breast cancer and coping among women of color: a systematic review of the literature. Supportive Care in Cancer, 22(3), 811–824. https://doi.org/10.1007/s00520-013-2057-3
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- Mozersky, J. (2012). Who’s to blame? Accounts of genetic responsibility and blame among Ashkenazi Jewish women at risk of BRCA breast cancer. Sociology of Health & Illness, 34(5), 776–790. https://doi.org/10.1111/j.1467-9566.2011.01427.x
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