Par Leanne Pierce Schneider
Un soir de juillet 2015, je suis allée me coucher; tout allait bien. À mon réveil, le lendemain, rien n’allait plus : mon sein gauche était enflé, enflammé et douloureux. J’étais inquiète et sous le choc, mais j’essayais de ne pas réagir outre mesure. Puis, j’ai commencé à chercher des causes : peut-être que c’était parce que mes règles allaient arriver, peut-être qu’il s’agissait juste d’une cellulite ou d’un canal galactophore bouché...
À l’époque, je me trouvais aux États-Unis pour une démonstration équine à un concours hippique de l’American Quarter Horse Association. Je suis allée dans une clinique sans rendez-vous et le médecin m’a conseillé de retourner au Canada pour faire des analyses. Je n’avais pas d’assurance médicale aux États-Unis. Sans être alarmiste, je voyais bien que ce médecin pensait que cela pouvait être grave. Et puis, plus je réfléchissais à mon séjour aux États-Unis et plus je trouvais que, comparé aux années précédentes, je me sentais extrêmement fatiguée. Je n’avais jamais ressenti cela avant et j’avais de plus en plus de mal à monter à cheval à cause de la douleur.
À mon retour au Canada, je me suis rendue directement dans un hôpital. À partir de ce moment-là, tout est allé très vite. En 10 jours, après une multitude d’analyses, on m’a diagnostiqué un carcinome lobulaire invasif triple positif de stade III.
Je n’arrivais pas à y croire. Tout mon monde s’est écroulé. Je me souviens avoir souhaité que le sol s’ouvre et qu’il m’engouffre tout entière.
Comment cela pouvait-il m’arriver à moi? Je n’avais aucun antécédent familial de cancer. Je menais un mode de vie très sain, j’étais une athlète équestre accomplie et tous mes tests génétiques étaient revenus négatifs.
Qu’avais-je mal fait? Pourquoi mon corps me trahissait-il ainsi? Je n’avais que 48 ans.
Après avoir tout d’abord refusé de les faire, j’ai commencé les traitements dans les semaines qui ont suivi. J’ai cessé d’être suicidaire pour essayer de devenir une source d’inspiration. J’ai commencé à chercher des moyens de partager mon expérience avec d’autres personnes, de les encourager et d’être une lueur d’espoir tout en étant consciente que ce qui m’arrivait était sinistre, brutal et cauchemardesque. J’ai fini par accepter ces sentiments de colère, de tristesse et de dépression qui étaient en moi.
J’ai eu du mal à ne pas parler de ma maladie. Parce que j’avais honte, je ne voulais pas répondre aux questions des gens ni voir la pitié dans leurs yeux. Mais c’était contre ma nature. Je suis une personne ouverte, extravertie et sensible. Et puis, je me suis rendu compte qu’en parlant, j’aidais beaucoup de gens. Je recevais des messages de mes amis et d’inconnus qui me disaient que j’arrivais à mettre des mots sur ce qu’ils ressentaient. Que cela leur permettait de comprendre ce que leurs proches vivaient. Qu’ils en apprenaient beaucoup sur le cancer du point de vue d’un patient. Je racontais mon expérience sur les réseaux sociaux, par l’écriture et en parlant avec les gens. Les gens m’envoyaient des cartes, des lettres, des cadeaux.
En 2016, après avoir terminé une chimiothérapie agressive et subi une mastectomie, à la suite de laquelle j’ai développé un lymphœdème et un symptôme de stress post-traumatique, j’ai créé l’équipe Wonder Woman and the Amazons pour participer au Relais pour la vie. J’ai donné ce nom à mon équipe, car les gens avaient commencé à m’appeler « wonder woman » et je souhaitais participer au Relais pour la vie pour redonner à la Société canadienne du cancer, qui avait tant fait pour moi et les autres patients de ma province. Et puis quand on m’a demandé de faire une intervention dans le cadre de l’événement, j’ai ressenti énormément d’humilité, d’honneur et de joie.
L’année d’après, mon équipe et moi avons de nouveau participé au Relais pour la vie. Cette fois-là, on m’a demandé d’être ambassadrice de l’événement. Pendant toute la durée du Relais, j’étais la « survivante » parce que depuis le 1er mars 2016, j’étais en rémission.
Et puis, le 4 avril 2018, j’ai été prise de convulsions alors que j’étais dans ma cuisine. J’ai réussi à appeler le 911 et une ambulance est venue me chercher pour m’emmener à l’hôpital. Le tomodensitogramme a montré que le cancer était revenu et qu’il s’était propagé au cerveau. Ma fille, qui était assise à côté de moi, a éclaté en sanglots. Quelques larmes ont coulé sur mes joues, mais l’entendre pleurer et penser à mon tout nouveau petit-fils m’ont donné l’envie de me battre : j’étais décidée à affronter ce nouveau défi avec détermination, force, concentration, humour et honnêteté... tout en continuant à aider les autres.
Cette année-là, je n’ai pas pu inscrire mon équipe au Relais pour la vie, car je subissais une radiothérapie au cerveau afin de me débarrasser des tumeurs existantes et d’empêcher l’apparition de nouvelles. Le traitement était facile et indolore, mais épuisant. Les stéroïdes que je prenais pour réduire l’enflure du cerveau m’empêchaient de dormir et les tumeurs, elles, m’empêchaient de faire quoi que ce soit.
Cette même année, en février, on a diagnostiqué un cancer du poumon de stade III à ma mère. Elle est morte le 4 juillet 2018. Cela a été dévastateur pour ma famille. Mais après plusieurs mois de thérapie, j’étais plus déterminée que jamais.
Même si à ce stade, on considérait mon cancer comme terminal, je voulais continuer à diffuser un message d’espoir.
On me donnait deux ou trois années à vivre. On m’a conseillé de commencer à me préparer et de faire les choses que j’avais envie de faire avant de mourir. C’était il y a cinq ans... De nouveaux traitements et médicaments sont constamment mis sur le marché. J’en ai essayé beaucoup. Certains ont été faciles, d’autres intolérables.
En 2019, j’ai pu réinscrire mon équipe au Relais pour la vie, mais j’étais très limitée. Et ma mère, qui avait été un membre intégral de mon équipe, n’était plus là. Je devais souvent m’asseoir et me reposer, et j’ai dû partir plus tôt. Au moins, j’y avais participé. J’étais venue.
Je suis toujours là, à vivre ma vie. Mais je suis une version différente de moi-même. À cause des multiples convulsions et des médicaments, j’ai maintenant des problèmes de mobilité. Je dois utiliser une canne, un déambulateur ou un fauteuil roulant. Je tombe souvent. Je suis également souvent fatiguée et faible. Je souffre d’œdème dans les pieds, les chevilles et les jambes. J’ai du liquide autour des poumons et dans l’estomac. Certains de mes doigts n’ont plus d’ongle. J’ai l’estomac ballonné à cause de la chimiothérapie. J’ai développé le syndrome de Cushing à cause de la prise à long terme de stéroïdes. J’ai pris plus de 100 livres à cause des stéroïdes et de tous les médicaments que je prends, et de l’inactivité due à la fatigue, l’affaiblissement de mes capacités et mes problèmes de mobilité. J’ai fait une cellulite qui m’a hospitalisée pendant toute une semaine et qui est revenue à deux reprises. J’ai eu des caillots de sang dans les bras et dans les poumons. J’ai des métastases osseuses dans la colonne vertébrale, dans les côtes, dans une jambe et dans une hanche. J’ai des métastases sur l’un de mes ovaires. J’ai parfois de la difficulté à respirer. J’ai du mal à trouver mes mots et à m’exprimer. Je ne suis pas la grand-mère que je me voyais être : une grand-mère « le fun », remplie d’entrain, d’énergie, de rires et d’activités... toujours prête pour une nouvelle aventure. Une grand-mère capable de faire des activités sportives et de monter à cheval avec son petit-fils.
Ce n’est pas moi aujourd’hui. Pourtant, je suis si contente d’être là et de pouvoir le voir grandir, et de pouvoir être témoin d’autres événements. En 2020, ma fille a fini ses études d’auxiliaire en soins continus avec les honneurs. J’étais là pour célébrer cet accomplissement incroyable avec elle. Elle s’est mariée à l’automne dernier. J’étais là pour l’aider et pour la conduire à l’autel. J’étais là pour voir mon petit-fils prendre le car pour son premier jour d’école et pour l’attendre, le soir, avec ma fille, sur le perron, qu’il nous raconte sa journée. Je ne peux pas faire d’activités sportives avec lui, mais je peux jouer aux cartes et à des jeux de société. J’étais là pour le voir patiner sur la glace et jouer au hockey pour la première fois. J’étais là pour tous ses entraînements et tous ses matches de soccer avec notre équipe Timbits locale. Je ne peux pas courir dans le parc avec lui, mais je peux le pousser sur les balançoires et il peut pousser mon fauteuil roulant. Je ne peux plus faire de randonnée de quatre kilomètres, mais on peut faire de courtes marches pour aller voir les canards, les grenouilles, les papillons, les insectes, la mousse, le lichen, les pommes de pin et tout ce que la nature a de beau à offrir.
Après qu’on m’ait diagnostiqué un cancer du sein métastatique de stade IV, je me suis rendu compte que je suis passée par quatre étapes :
Constatation
Acceptation
Conciliation
Adaptation
Je continue à diffuser des messages d’espoir et d’inspiration, tout en étant consciente que chacun suit son propre chemin, son propre périple. Tout cela est personnel. Tout comme l’ADN, aucun cancer ne se ressemble. Aucun être humain n’est pareil. On peut se retrouver isolé, rempli d’incertitudes et tomber dans des coins sombres remplis de peur. Et puis, tout à coup, on rencontre quelqu’un qui apporte une lueur d’espoir. Cela peut durer une heure ou quelques jours. L’important alors est de partager cette lueur d’espoir.