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La voix des personnes atteintes d'un cancer du sein

Éducation

blogue À nous la parole

Les points de vue et les expériences exprimés à travers les histoires personnelles sur le blog Our Voices sont ceux des auteurs et de leurs expériences vécues. Ils ne reflètent pas nécessairement la position du Réseau canadien du cancer du sein. Les informations fournies n’ont pas été examinées médicalement et ne sont pas destinées à remplacer un avis médical professionnel. Demandez toujours conseil à votre équipe de soins lorsque vous envisagez vos plans et objectifs de traitement.

Passer à un cheveu

Dans cette nouvelle rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein

Par Adriana Ermter

Le cancer du sein a rendu mes cheveux plus épais. Et plus ondulés. Pas d’un seul coup bien sûr. Ce n’est pas comme si j’avais reçu un cadeau spécial pour compenser le choc et la peur associés au fait d’avoir un cancer du sein.

Mes cheveux de jadis, clairsemés et fins, avaient toujours frisé un peu, mais seulement si leur longueur dépassait mes lobes d’oreilles. J’avais les cheveux aux épaules lorsque j’ai reçu mon diagnostic, alors il m’est difficile de déterminer exactement à quel moment j’ai remarqué le changement. Je sais que c’est survenu après mon opération et ma radiothérapie, mais avant la prise de tamoxifène.

Mais honnêtement, je ne pensais pas vraiment à mes cheveux à cette époque. Admettons que les jours où je parvenais à m’extirper du lit suffisamment rapidement pour avoir le temps de traîner mon corps douloureux et épuisé jusque sous la douche et demeurer debout pour me laver les cheveux, je ne prenais certainement pas le temps de les regarder dans le miroir par la suite. Je ne possédais pas cette énergie et je les laissais sécher à l’air libre pendant que je me rendais au travail, avant de les nouer en chignon décoiffé. Les jours où je choisissais le sommeil plutôt des cheveux propres, un shampoing sec en masquait le gras tout en leur donnant du volume. D’ailleurs, plus souvent que je ne veux l’admettre, je ne les brossais pas. Pourquoi l’aurais-je fait ? Je ne faisais que les attacher hors de ma vue. C’était la première fois de ma vie que je me préoccupais aussi peu de mon apparence.

C’était avant de voir mon ancienne oncologue, environ un mois après mon intervention chirurgicale. C’était avant de l’entendre me dire qu’en plus de la radiothérapie, j’avais besoin de subir une chimiothérapie agressive. Après cette annonce, elle a poursuivi sans hésitation en m’avertissant que je devais m’attendre à perdre tous mes cheveux après ma deuxième séance de chimiothérapie. C’est à ce moment que je me suis préoccupée de mes cheveux. Et beaucoup.

L’arrivée du brouillard
Aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours inquiétée de mes cheveux blonds, de leur rareté en fait. Pendant mon secondaire, je transportais un fer à friser sans fil au butane dans mon sac à dos. C’est renversant de constater que jamais un de mes livres d’école n’a pris feu. Alors, quand je me faisais surprendre par la pluie ou la neige ou quand je manquais de confiance en moi, je me ruais aux toilettes les plus proches, j’appuyais sur le bouton sur le côté du cylindre en métal et je me frisais. Je voulais des cheveux ondulés, épais, qui donnaient l’apparence d’une fille à la mode, mais accessible. À cette époque, les miens arboraient une légère teinte verdâtre causée par mes entraînements de natation quotidiens en plus de toujours dégager une odeur de chlore. Pour couronner le tout, j’étais convaincue que je présentais un début de calvitie attribuable à la mise et au retrait d’un bonnet de bain épais en plastique sur ma tête plusieurs fois par semaine. Jour après jour, je me plaignais de mes cheveux mous, fins, au style imprévisible. Et il n’a fallu que quelques mots pour que ma chevelure devienne instantanément mon bien le plus précieux. Je ne pouvais pas la perdre.

C’est du moins ce à quoi je songeais pendant que les paroles de l’oncologue continuaient de retentir et de m’engourdir le corps. Mes pensées, elles, se succédaient à un rythme fou dans ma tête. Des images de calvitie, d’absence de sourcils ou de cils, de tête plate à l’arrière, de prothèses capillaires et de chapeaux tourbillonnaient. Je n’arrivais pas à y croire. Au cours des quatre mois qui avaient suivi mon diagnostic, j’avais été opérée et des échantillons de tissu tumoral avaient effectué un aller-retour en Californie pour faire l’objet d’un test Oncotype DX. On voulait connaître le risque de récidive de mon carcinome canalaire infiltrant. Tous mes médecins m’avaient affirmé que je n’aurais probablement pas besoin de chimiothérapie. Et là, on m’annonçait le contraire. Je n’ai pas pleuré, mais je n’arrivais pas à parler. J’avais l’impression d’avoir quitté mon corps et de flotter à côté alors que je sortais du bureau de la médecin pour me rendre à l’hôpital avec ma meilleure amie. Je devais me rendre aux laboratoires pour subir des examens obligatoires sur mes organes vitaux avant d’entreprendre le traitement.

Une fois cela fait, mon amie et moi sommes allées au pub de mon quartier. Il n’était que onze heures, mais j’ai commandé un vodkatini et mon amie a veillé à ce que je n’aie jamais un verre vide devant moi. Pourtant, je ne ressentais rien. Ni l’alcool, ni la tristesse, ni la réalité de ce que cela signifiait pour ma santé et mon avenir. Plus tard cet après-midi-là, comme promis, l’assistante de mon oncologue m’a appelée pour confirmer que les médecins réunis en table ronde pour discuter de mon cas après mon fatidique rendez-vous approuvaient la série de traitements recommandée par mon oncologue. L’assistante m’a alors donné la date de ma première séance de chimiothérapie. J’ai raccroché et je suis retournée chez moi seule.

L’onde de choc
Je n’ai appelé ni mes parents ni mes sœurs. Je me sentais incapable de parler du nouveau chemin sur lequel le cancer du sein me projetait. Même si je savais que je faisais preuve de coquetterie et d’immaturité face à mon alopécie imminente, j’étais terrifiée. Je m’étais en quelque sorte réconciliée avec le fait d’avoir perdu un morceau gros comme une boule de crème glacée de mon aisselle et de mon sein droits. Cela m’avait sauvé la vie. J’acceptais même l’idée que je ne porterais jamais d’enfant. J’étais divorcée et célibataire. Avec qui aurais-je eu un enfant de toute façon ? Mais comment pouvais-je accepter de perdre ce qui me restait de féminité, de perdre mes longs cheveux parsemés de mèches, mes sourcils que j’avais péniblement refaits pousser après les avoir finement épilés pendant les années 90 et mes longs cils naturels dont j’étais si fière ? Ils m’aidaient tous à me donner l’impression que la femme que j’étais existait encore. La perspective d’être plus malade à cause de la chimiothérapie et l’idée de perdre tout ce qui exprimait ma féminité et ma beauté me semblaient cruelles et sans espoir.

Je me suis autorisée à me sentir ainsi pendant exactement une journée. Puis, j’ai dressé une liste de choses à accomplir. J’ai commencé par appeler ma coiffeuse pour prendre un rendez-vous pour me faire couper les cheveux. Il me semblait plus facile d’envisager de perdre des poignées de cheveux plus courts que de longues mèches. J’avais déjà perdu des cheveux, mais dans une moindre mesure, pendant ma séparation et mon divorce. Le stress insurmontable que je ressentais à l’époque a provoqué un éclaircissement de mes cheveux qui devenaient cassants avant de tomber. Je savais qu’opter pour une coupe de cheveux très courte rendrait la perte moins douloureuse. J’essayais de me convaincre que tout irait bien. J’étais déjà passée par là.

Ce que je n’avais jamais fait cependant, c’était de magasiner en ligne pour des prothèses capillaires et des chapeaux pour les patientes en chimiothérapie. Je me suis malgré tout forcée à chercher et à en déposer quelques-uns qui avaient l’air plus doux que les autres dans mon panier virtuel pour les acheter plus tard. J’ai même jonglé avec l’idée de me procurer une perruque bleu brillant de style coupe au bol. Je me disais que tant qu’à être chauve, aussi bien ne pas passer inaperçue et en être fière. Puis, j’ai appelé mes sœurs, mes parents et mes amis proches pour leur faire part de la nouvelle avant de rédiger un courriel destiné au département des ressources humaines de mon employeur. J’y détaillais la façon dont je souhaitais gérer cette prochaine étape et ma charge de travail actuelle. J’ai demandé à obtenir un rendez-vous pour en discuter en personne parce que je me devais de garder mon emploi. Être pragmatique et agir m’ont donné un sentiment de contrôle, mais la réalité était que je demeurais éveillée pendant des heures la nuit, collée sur mon chat. Mes pensées se précipitaient malgré les comprimés de mélatonine pris avant de fermer les lumières.

Le revirement
Une semaine s’est écoulée et exactement un jour avant mon rendez-vous pour me faire couper les cheveux, j’ai reçu un appel de l’assistante de mon oncologue de l’époque. Elle voulait fixer un rendez-vous pour un autre test, mais il entrait en conflit avec ma première séance de chimiothérapie. Je lui ai fait remarquer que tous mes examens étaient censés avoir été réalisés avant d’entamer le traitement. J’ai raccroché, perplexe, pendant que l’assistante tentait de joindre la médecin.

Une heure plus tard, mon téléphone a à nouveau sonné et cette fois-là, c’était la médecin qui m’annonçait très maladroitement que je n’avais plus besoin d’une chimiothérapie agressive. Je lui ai demandé de m’expliquer pourquoi. C’est alors qu’elle a commencé à faire marche arrière en disant que même si mon score de récidive de 25 points au test Oncotype DX se situait à cheval entre un risque moyen et élevé pour mon groupe d’âge et commandait une chimiothérapie, mon nouveau plan d’action ne comprenait plus ce traitement effractif. Stupéfaite, je suis retournée consulter les notes prises diligemment par mon amie lors du précédent rendez-vous. Ça n’avait aucun sens. Noir sur blanc, les mots de l’oncologue allaient ainsi : « Votre cancer du sein est plus grave qu’anticipé initialement. Vous devez commencer une chimiothérapie immédiatement. » Lorsque je lui ai rappelé ses paroles, elle s’est mise sur la défensive et à partir de ce moment, je n’avais plus confiance en elle.

J’ai voulu lui crier des insultes lorsqu’elle a sous-entendu que j’étais dans le tort, que j’avais mal interprété ses propos. Comment pouvait-elle être aussi insensible ? Pourquoi ne reconnaissait-elle pas son erreur, son mauvais diagnostic ? Comment pouvait-elle ignorer le fait qu’avoir un cancer du sein est stressant, qu’il faut se souvenir d’une multitude de détails et apprendre des notions médicales, que les patientes comme moi comptent sur leurs médecins pour obtenir des conseils, de l’honnêteté, des soins et de la transparence ? Mais je n’ai pas crié. J’ai plutôt demandé d’obtenir l’avis d’un autre médecin et d’être dirigée vers un oncologue réputé du Princess Margaret Hospital. Elle a accepté et a appelé à l’hôpital pour moi. J’ai pu prendre un rendez-vous avec ma nouvelle équipe de soins la même semaine. Entretemps, j’ai récupéré tous les documents, scintigraphies, rapports de laboratoire et de chirurgie et résultats obtenus par mon ancienne équipe.

Une nouvelle perspective
Après de nombreux rendez-vous avec mes nouveaux médecins, mon nouvel oncologue m’a expliqué que ma précédente spécialiste avait mal interprété mon rapport Oncotype DX. Même si mon score global était élevé pour mon âge et nécessitait habituellement une chimiothérapie, mon cancer du sein avait été détecté tôt et la tumeur était de stade 1 et de grade 1. De plus, la grosseur de la tumeur et les larges marges chirurgicales prélevées lors de l’intervention chirurgicale (éliminant ainsi on l’espère toute cellule cancéreuse supplémentaire) signifiaient que je pouvais poursuivre en toute sécurité mon traitement qui consistait en de nombreuses séances de radiothérapie et la prise sur une longue durée d’un médicament administré par voie orale, le tamoxifène. Je n’avais pas besoin d’une chimiothérapie agressive.

Entendre ces mots a provoqué chez moi des sueurs froides de soulagement de la tête aux pieds. Ça ne changeait rien au fait que j’avais encore un cancer du sein, mais ça chassait la peur viscérale de ne pas savoir à quel point la chimiothérapie me rendrait malade, m’empêcherait de prendre soin de moi-même et de mon chat et nuirait à mon travail qui me permettait de payer mon hypothèque et mon épicerie. Et je garderais mes cheveux, tous mes cheveux.

Remplie d’espoir, j’ai dit au revoir à mon équipe médicale avec le cœur léger, mais seulement jusqu’à la grande salle d’attente. Là, j’ai aperçu un grand nombre de femmes qui avaient reçu un diagnostic de cancer du sein ou qui étaient sur le point de l’apprendre. Parmi cette foule de femmes, certaines étaient chauves, d’autres portaient des chapeaux qui semblaient moelleux ou des foulards à imprimé, quelques-unes portaient des prothèses capillaires et toutes attendaient patiemment leur tour pour rencontrer leur médecin. Cela m’a déstabilisée et j’ai instantanément été rongée par la culpabilité d’être transportée de joie à l’idée d’avoir encore mes cheveux. J’ai rougi et des larmes ont embué mes yeux. Jamais je ne m’étais sentie aussi odieuse.

Orgueil et culpabilité
J’ai toujours su que j’aimais me sentir belle. Dans un questionnaire d’une application de rencontre que j’ai récemment rempli, j’ai cliqué deux fois sur « oui » à la question « Vous sentez-vous flattée lorsqu’un inconnu vous complimente ? » Pourtant, après la publication d’un article que j’avais écrit au sujet de la honte de mon corps en raison de ma prise de poids, une amie de longue date très chère dont je respecte l’opinion m’a gentiment rappelé que mon apparence est ce qu’il y a de moins intéressant chez moi. Je sais qu’elle a raison et je tente de mettre de côté mon orgueil et mon impression de ne pas répondre aux attentes. Je ne peux toutefois pas m’empêcher de me demander si d’autres femmes atteintes d’un cancer du sein craignent de perdre leurs cheveux et si elles sont aussi soulagées que moi lorsqu’elles apprennent qu’elles les garderont. Je suis peut-être la seule. Je ne sais pas. Personne n’en parle vraiment.

Lorsque je vois une femme qui porte un foulard, une prothèse capillaire ou un chapeau bien enfoncé sur la tête, le visage dépourvu de sourcils et de cils, je ne détourne plus le regard. J’avais l’habitude de me dire que j’agissais ainsi par respect pour sa dignité, mais j’ai changé d’avis. Je reconnais maintenant sa présence en la regardant droit dans les yeux et en souriant. Je ne connais pas de meilleure façon de dire silencieusement à une femme que je la trouve belle, courageuse et forte. Et même s’il s’agit d’un petit geste anodin, je prends maintenant la peine de me laver les cheveux plus souvent, de les sécher et de les coiffer. Je mets aussi du mascara sur mes cils et je me noircis les sourcils. C’est la moindre des choses. Je suis reconnaissante d’avoir pu garder mes cheveux.

Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Figure Skater Fitness, Canadian Hairdresser et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec sa chatte très gâtée Trixie-Belle. Vous pouvez la suivre sur Instagram au @AdrianaErmter, au Twitter @AErmter