Par Sondria Browne
J’avais 46 ans lorsque je reçus un diagnostic de cancer du sein multifocal, canalaire, lobulaire et infiltrant de stade 2 et de grade 3. Je découvris moi-même la bosse au terme d’une année au cours de laquelle des kystes s’infectaient constamment dans mon sein. La très grande densité de mes seins expliquait en partie pourquoi le cancer ne put être détecté par les mammographies. Une biopsie confirma le diagnostic. Une mastectomie au sein droit et quatre cycles de chimiothérapie eurent lieu peu de temps après. Six mois plus tard, je choisis de subir une ablation du sein gauche et j’entrepris une reconstruction mammaire.
Je viens de terminer un traitement de cinq ans au tamoxifène et j’ai décidé, avec l’appui de mon équipe du centre anticancéreux, de ne pas continuer pendant cinq autres années. Des problèmes liés aux effets secondaires du médicament commençaient à se faire sentir.
Mes seins avaient disparu, mais je pouvais prendre du recul ou à tout le moins, obtenir un aperçu de ce qui manquait dans ma vie avant que le cancer ne bouleverse tout. Les répercussions de cette expérience s’avèrent plus profondes que la cicatrice de six pouces sur ma poitrine. Ce diagnostic dévastateur m’imposa une nouvelle perspective.
Comme de nombreuses autres femmes, je ressentis le besoin de changer ma vie et de faire en sorte que mon expérience fasse une différence dans le monde. L’univers semblait prêt à me répondre si tel était mon désir. J’avais commencé à rédiger un blogue intitulé « The Rising ». Consigner par écrit mes pensées et mes peurs m’aidait à entamer le processus de guérison en plus de permettre à mon entourage de mieux comprendre ce que je vivais.
Au moment de mon diagnostic, je me demandai si j’arriverais à donner un sens à tout cela. Mon image dans le miroir se modifia à tout jamais. Serais-je capable de faire face à mon nouveau corps ? Les cicatrices du cancer demeurent bien plus profondes et complexes que ce que les mots parviennent à exprimer. Comment redéfinir les changements survenus en moi pour refléter ce qu’il restait de ma beauté ?
M’assumer devint mon objectif. Je trouvai des exemples d’acceptation de soi sur Internet, plus précisément dans les photographies de femmes qui avaient décidé de raconter leur histoire au moyen de cet art. Les mots me manquaient lorsque je regardais ces images et que je m’y identifiais : c’était moi. Elles exprimaient ce que je ressentais, mais que je n’arrivais pas à dire à quiconque, même par l’entremise de mon blogue. Le réalisme des portraits illustrait la vérité crue de l’expérience du cancer. Grâce à l’art qu’est la photographie, une image ne requiert aucun mot pour être vraiment comprise.
Je voulus ensuite être photographiée pour partager mon expérience. Je m’associai alors avec une fabuleuse photographe à la personnalité remarquable, Malin Enstrom. Je considérais que ses photographies immortalisaient habilement des moments pour raconter une histoire comme seule une image le peut.
Les photos furent finalement prises par une magnifique journée d’été dans ma cour arrière. Ce jour-là, je me sentais à la fois vulnérable et soulagée de l’avoir fait. Malin me montra les portraits. Je m’assis et je pleurai ; le choc causé par mon image me rappelait mon parcours contre le cancer et la guérison attendue.
À ce moment précis, je compris que la guérison avait déjà eu lieu. Décider d’être photographiée en était la preuve. Au beau milieu de ma tristesse momentanée, je vis de la force, de l’acceptation et de la résilience. Embrasser qui j’étais maintenant, cicatrices incluses, me donnait une prise sur ma propre vie.
Je publiai les photos sur mon blogue et je reçus de nombreux commentaires positifs. Ce fut à ce moment que Malin et moi décidâmes de demander à d’autres femmes si elles accepteraient d’être photographiées. Nous souhaitions que d’autres patientes de St. John’s à Terre-Neuve vivent la même expérience que moi. Nous désirions leur aide pour raconter le cancer du sein de façon crue et honnête.
Elles entendirent parler de ce que nous faisions et vinrent à nous. Elles voulurent participer au projet que nous avions intitulé One out of Nine (Une femme sur neuf), soit la probabilité qu’une Canadienne reçoive un diagnostic de cancer du sein. Nous les prîmes en photo là où elles se sentaient à l’aise et dans des lieux importants à leurs yeux. Nous eûmes la chance de photographier de nombreuses femmes de la presqu’île Avalon avec pour toile de fond le paysage magnifiquement rustique de notre province.
En tout, treize femmes font partie de l’installation artistique. Près de trente portraits à grande échelle et treize gros plans composent l’exposition. Les femmes étaient âgées de 31 à 82 ans à l’époque où les clichés furent pris. Chacune souffrait d’un type de cancer différent, ce qui illustre la diversité de la maladie et des traitements.
La Dr. H. Bliss Murphy Cancer Care Foundation située à Terre-Neuve nous offrit un soutien précieux qui nous permit de monter une première exposition en 2013. Depuis, nous l’avons présentée à divers endroits à Terre-Neuve-et-Labrador. Elle fut bien accueillie et nous espérons renouveler l’expérience.
Cette exposition changea ma vie et contribua à ma guérison de façon inattendue. Je ne fus jamais heureuse d’avoir le cancer, mais je concède que de cette chose horrible naquirent une raison d’être et le désir de donner au suivant. Ma vie se poursuivait et avec ma collègue, Malin, je faisais une différence dans la vie des autres.
Chaque fois que nous présentions l’exposition à Terre-Neuve, je ressentais de la fierté lorsque nous suspendions chacun des portraits réalisés par Malin. Elle avait réussi non seulement à prendre des photographies magnifiques de ces femmes, mais aussi à faire en sorte que chacune raconte son histoire sans qu’un mot soit nécessaire.