By continuing to use our site, you consent to the processing of cookies, user data (location information, type and version of the OS, the type and version of the browser, the type of device and the resolution of its screen, the source of where the user came from, from which site or for what advertisement, language OS and Browser, which pages are opened and to which buttons the user presses, ip-address) for the purpose of site functioning, retargeting and statistical surveys and reviews. If you do not want your data to be processed, please leave the site.

La voix des personnes atteintes d'un cancer du sein

Éducation

blogue À nous la parole

J’ai dû travailler pendant mon traitement contre le cancer et c’était affreux

Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.

Par Adriana Ermter

J’ai travaillé durant toute la durée de mon traitement contre le cancer du sein. Je ne voulais pas, mais je le devais. Je vis seule. Je n’ai ni mari ni conjoint. Je paie mes factures à temps, par moi-même. Oui, c’était mon choix, mais il était horrible.

En fait, je ne me sens pas très à l’aise d’écrire sur ce sujet. Ça me cause des picotements partout, comme si je portais un col roulé en laine trop serré et trop épais. Mais si je ne compose pas là-dessus, l’impression de démangeaisons s’aggravera. Je le sais parce que cela m’est déjà arrivé. Il m’apparaît évident que je traverse quelque chose, comme un blocage dans ma carrière, et que je dois surmonter cet obstacle. Au fond de moi, je sais que le seul moyen de passer au travers consiste à partager la façon dont mon ancien employeur a géré ma maladie et ce que je ressentais en travaillant pendant cette période. Je ne nommerai personne ni ne serai impolie, mais je ne mâcherai pas mes mots. Bien honnêtement, je préférerais ne pas parler de cela, mais ça ne me convient pas : les démangeaisons ne seraient pas là si tout allait bien.

Cette impression de démangeaisons

J’ai déjà ressenti cette sensation. Souvent en fait. Elle est presque toujours associée à ma carrière et 99,9 pour cent du temps, elle signifie que j’ai besoin de me secouer. Environ quatre ans après avoir obtenu l’emploi de mes rêves comme directrice de la section beauté du magazine Fashion, j’ai senti quelques fourmillements. C’était très subtil bien sûr, mais je savais instinctivement que je désirais laisser une plus grande empreinte, contribuer autrement. Mais je me suis opposée à ces picotements parce que franchement ! Je n’occupais mon poste de rêve que depuis quelques années. Arrêter était trop terrifiant. Je n’avais aucune idée de ce que je pourrais faire d’autre. En plus, comment pouvais-je seulement penser à renoncer à un emploi que j’avais souhaité pendant tant d’années puis obtenu ? À la place, j’ai changé de magazine, mais en conservant mon titre et mon rôle. À deux reprises. La première fois, il s’agissait d’une promotion au sein d’un grand magazine qui s’avéra une erreur encore plus grande. J’ai quitté cet emploi après trois mois. La deuxième fois, c’était un contrat au cours duquel je me suis fait remercier après six mois de travail lorsque le magazine pour lequel je travaillais a changé de main. Quand cela est survenu, les démangeaisons étaient rendues insupportables.

C’est à ce moment que j’ai obtenu mon premier poste d’envergure mondiale au sein d’une ONG internationale. Toutes les fois que je parle de cette transition professionnelle, les gens approuvent sagement, comme si je venais de corriger cette erreur d’ambitions frivoles pour finalement accomplir quelque chose d’utile. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils ne peuvent pas croire que j’ai perdu mon temps dans le domaine des magazines d’intérêt général. Je les emmerde. J’ai adoré travaillé à l’interne pour des magazines féminins. Les démangeaisons ne signifiaient pas que je ne pouvais pas continuer d’écrire pour ces publications et sites Web en parallèle puisque je n’ai jamais cessé jusqu’à ce jour. Les fourmillements voulaient tout simplement dire que je devais réorienter mes objectifs de carrière.

J’ai passé les huit années suivantes à défendre des familles, surtout des femmes et des enfants qui vivaient dans des conditions précaires et dans des communautés vulnérables. J’ai voyagé partout en Afrique et au Moyen-Orient pour les rencontrer, vivre comme eux et rapporter avec authenticité leurs histoires. Les six premières années se sont révélées très gratifiantes et mon style rédactionnel s’en est trouvé bonifié. Puis, les démangeaisons sont réapparues et cette fois-là, il s’agissait d’un rappel à l’ordre : je devais m’accorder une plus grande valeur personnelle dans mon lieu de travail. Ma patronne n’était pas gentille. Elle me dépréciait et rabaissait mon talent depuis deux ans. C’est à ce moment que j’ai reçu mon diagnostic de cancer du sein.

Annoncer mon diagnostic à mon employeur

Ma patronne a été la troisième personne à qui j’ai dévoilé mon diagnostic. Je devais lui dire. Je me suis présentée devant elle et malgré le fait qu’elle s’avérait souvent méchante et cruelle à mon endroit, j’avais choisi de l’aimer et de la respecter. J’ai pris cette décision environ six mois après son arrivée au sein de l’entreprise. À l’époque, nous nous querellions constamment. Elle exerçait son autorité sur moi comme s’il s’agissait d’une cape rouge de matador et ma frustration et ma colère m’ont transformée en taureau. J’ai alors choisi de changer ma façon de voir les choses et mes réactions. Il m’a fallu approximativement six mois de méditations quotidiennes et de monologues internes pour atteindre ma zone de bienveillance, mais ça en a valu la peine. La détester aurait été tellement plus difficile. Je lui ai donc parlé de mon diagnostic et j’ai prié pour qu’elle ne l’utilise pas comme excuse pour me congédier. Bien sûr, si cela était arrivé, j’aurais pu louer mon condominium, déménager à Calgary et obtenir le soutien de ma famille, mais mon équipe d’oncologie basée à l’un des meilleurs centres anticancéreux du pays (à Toronto) était et est toujours exceptionnelle. Alors je suis restée et j’ai élaboré un plan.

Puisque mes précédentes interactions avec ma patronne avaient prouvé qu’elle ne prendrait pas ma défense ni ne plaiderait pour moi, j’ai créé un document qui présentait toutes les étapes de mon intervention chirurgicale et de mon traitement. De plus, je fournissais régulièrement au département des ressources humaines (RH) de la compagnie et à ma patronne des mises à jour sur ma situation médicale.

Tapé dans un document Word puis copié-collé dans mon courriel, mon plan précisait le temps minimal de congé requis par mon chirurgien pour permettre mon rétablissement. Deux semaines. Mon équipe de soins m’incitait fortement à prendre deux mois, mais ma compagnie n’offrait pas de prestations d’invalidité et lorsque j’ai demandé aux RH quelles étaient les autres possibilités, ils m’ont répondu qu’il n’y en avait pas. Dans mon document, j’ai expliqué comment j’utiliserais mes deux semaines de vacances accumulées pour l’opération et la convalescence. Je recourrais à mes cinq journées de maladie annuelles pour mes rendez-vous médicaux. Le temps requis par mes traitements et d’autres rendez-vous serait compensé par des heures supplémentaires au bureau. Puis, j’ai conçu un horaire de retour au travail qui énumérait chacun de mes projets, quelles mesures je prendrais pour remettre chacun d’eux à temps et les étapes qui me permettraient de produire des textes de qualité. J’ai même demandé à mon radio-oncologue de prévoir tous mes traitements de radiothérapie quotidiens (qui s’étalaient sur plusieurs mois) tôt le matin pour que je puisse me présenter au bureau et travailler pendant huit bonnes heures ces journées-là.

Troquer la peur pour prendre soin de moi

J’ai partagé tout cela avec mon amie qui travaille en ressources humaines pour une autre compagnie. Elle était consternée. Pas par mon plan, mais par le fait que je devais en concevoir un. J’avais un cancer, a-t-elle affirmé. Pourquoi devais-je me taper le plus gros de la tâche ? Son entreprise en avait fait plus pour leurs employés qui souffraient de migraines persistantes que ce que la mienne avait fait pour moi. « Et tu as le cancer ! », s’est-elle exclamée. Mon amie ainsi que deux autres — une qui était directrice générale d’une organisation de communication et l’autre, fondatrice d’une ONG locale — étaient catégoriques : ma transparence ne suffisait pas. Elles n’exagéraient pas. Elles souhaitaient me protéger et être réalistes au sujet de ce que ma compagnie pouvait, mais ne voulait pas faire. Selon les trois, les entreprises canadiennes disposent de programmes d’aide aux employés qu’elles peuvent mettre en place à n’importe quel moment à coût nul. J’ai pris en note certaines de leurs suggestions et je les ai montrées à ma patronne et aux RH. Je n’ai reçu aucune réponse.

Je travaillais pour une ONG dont le seul but était d’améliorer la vie des autres. L’ironie de cette situation n’a échappé à personne, ni à moi ni aux personnes à qui j’ai parlé. À la suggestion de mon amie en ressources humaines, j’ai commencé à documenter toutes mes mises à jour médicales, ma correspondance et mes échanges avec le département des RH et ma patronne. C’est devenu ma police d’assurance.

Je ne possède pas un talent super évident comme le danseur de hip-hop Twitch ou la ballerine Misty Copeland. Je ne suis pas non plus la regrettée rédactrice en chef internationale du Cosmopolitan Helen Gurley Brown ou le milliardaire génie de la technologie Bill Gates. Je suis juste moi, une femme qui aime rédiger et réviser des histoires qui veulent dire quelque chose. Mon travail demeure subjectif : il n’est pas toujours évalué en fonction de sa valeur ou de sa qualité, mais il est toujours jugé. Ma patronne a rarement aimé mes écrits. Plus important encore, elle ne m’aimait pas, ouvertement. J’aurais souhaité qu’il en soit autrement. Ces deux prédécesseurs m’estimaient, suffisamment pour m’accorder une hausse de salaire trois années de suite. Mon travail a également remporté de nombreux prix, mais ce n’était pas assez. Seule comptait l’opinion de ma patronne. Ce n’était ni de la paranoïa ni une fabulation. Un jour, j’ai dû lui remettre un texte rédigé par un collègue dont elle aimait la plume. Elle a présumé que ce travail était le mien et l’a démoli verbalement sous les yeux de tous les membres de notre équipe. La plupart se trouvaient sous ma responsabilité. Lorsque je lui ai répondu que je n’avais pas composé le texte en question, que c’était celui de mon collègue, elle s’est rétractée. Sans réserve. Puis elle lui a présenté ses excuses devant tout le monde et lui a dit à quel point il était un écrivain brillant.

Élaborer LE plan

C’était une dernière goutte parmi toutes celles qui étaient déjà de trop. Mais puisque j’étais encore trop malade pour laisser mon emploi, j’ai plutôt établi une liste de mes forces et de mes réalisations. J’avais besoin de me rappeler ce dont je m’estimais capable. Puis, j’ai dressé une deuxième liste de toutes les choses que j’aimerais accomplir après avoir quitté ma patronne et la compagnie qui faisait l’autruche et acceptait tout ce qu’elle disait comme parole d’Évangile. J’ai rangé les deux listes dans un tiroir de la table basse à côté de mon sofa pour y avoir accès facilement. Je les ai beaucoup lues.

Six mois plus tard, mes santés physique et émotionnelle se sont effondrées. Mes médecins ont insisté pour que je passe de cinq jours de travail à trois pour les six prochains mois. J’ai à nouveau rédigé une lettre dans laquelle je détaillais la façon dont j’arriverais à m’acquitter de mes responsabilités professionnelles et je l’ai envoyée tout en prenant un rendez-vous avec ma patronne et les RH. Ils ont répondu en ne touchant pas à mon salaire pour les trois premiers mois puis en le ramenant à l’équivalent de trois jours de travail hebdomadaires pour les trois mois restants. Je les ai personnellement remerciées. J’ai remis à ma patronne, à sa patronne et aux RH une carte de remerciement écrite à la main parce que j’étais sincèrement reconnaissante. Jamais ma patronne ou les RH ne m’ont demandé comment j’allais, et ce même si j’étais passée par une opération, des mois de traitement et six mois d’heures de travail réduites. Cependant, toutes ces personnes ont régulièrement vérifié ma charge de travail et demandé si tout était fait. Je n’ai jamais raté une date limite. Même en prenant deux jours de congé.

Disposer de ces deux journées de congé a changé ma vie. Ce temps additionnel m’a offert la possibilité de me reposer, de guérir et de réfléchir. J’ai surtout dormi et paressé sur le sofa, mais quand j’étais alerte, je visualisais une nouvelle carrière pour moi. Tranquillement, cette impression de démangeaisons a diminué. Je me suis promis que dès que je me sentirais suffisamment forte, je quitterais mon emploi et je travaillerais de la maison. Je participerais à titre d’auteur et réviseure à des projets dans lesquels je crois et pour des gens et des compagnies qui croient en moi.

Changer

Après avoir repris le travail à temps plein, il m’a fallu trois autres mois pour me sentir physiquement prête à remettre ma lettre de démission avec un préavis de quatre semaines. Ma patronne a été surprise et m’a demandé de rester deux semaines de plus, ce à quoi j’ai consenti. Ces deux semaines sont devenues quatre, puis un mois. Finalement, mes quatre semaines de préavis se sont transformées en trois mois. Mais rendue là, j’étais correcte avec cela. Principalement, je pense, parce que j’avais cessé de me fendre en quatre pour prouver ma valeur et mon talent à une femme qui refusait de me voir. Avoir le cancer et en guérir m’avaient enlevé toute mon énergie et il ne m’en restait plus pour satisfaire quiconque, elle comprise. Bien accomplir mes tâches, y croire et croire en moi ont été une libération. De plus, j’ai pu constater à quel point ma patronne valorisait mon travail et ma personne lorsqu’elle a réalisé que je partais, même si elle ne l’a jamais dit de vive voix.

Tout au long de mon parcours contre le cancer du sein, j’ai eu peur de perdre mon emploi. Je ne suis donc pas fière d’avoir permis à mes anciennes patronne et compagnie de mépriser mes contributions, mon talent et mes besoins en matière de santé, avant et pendant mon opération et mon traitement. Aucun employeur, aucune personne ne devrait avoir le droit de manquer de respect de cette façon envers un autre être humain, surtout si cet être se bat contre une maladie mortelle. Néanmoins, je demeure reconnaissante. Cette expérience m’aura prouvé que j’étais capable de me tenir debout, authentiquement et respectueusement, dans des circonstances désastreuses. Je n’ai jamais engueulé qui que ce soit. J’ai travaillé fort, j’ai pris les mesures nécessaires pour me protéger et je suis partie quand l’occasion s’est présentée. Cela fait maintenant presque un an que je gagne ma vie de façon autonome et je suis fière de cela et de tout ce que j’ai accompli. Les sensations de démangeaisons sont de retour toutefois. Elles me poussent encore une fois, alors je sais que quelque chose de neuf et de nouveau se pointe à l’horizon. Je me laisse porter et je suis optimiste, même si je ne sais pas ce que cela signifie.

Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Figure Skater Fitness et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec sa chatte très gâtée Trixie-Belle. Vous pouvez la suivre sur Instagram au @AdrianaErmter


Les points de vue et les expériences exprimés à travers les histoires personnelles sur le blog Our Voices sont ceux des auteurs et de leurs expériences vécues. Ils ne reflètent pas nécessairement la position du Réseau canadien du cancer du sein. Les informations fournies n’ont pas été examinées médicalement et ne sont pas destinées à remplacer un avis médical professionnel. Demandez toujours conseil à votre équipe de soins lorsque vous envisagez vos plans et objectifs de traitement.