Par Adriana Ermter
Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Il y a quelques années, l’une de mes amies m’a raconté un phénomène qui se passait pendant son premier trimestre grossesse. Elle était ravie d’être enceinte, mais souhaitais, pendant les trois premiers mois à risque, garder sa grossesse secrète. Elle était tout le temps malade, et avait des nausées intenses et était extrêmement fatiguée, symptômes qui, disait-elle, s’aggravaient pendant le trajet en métro qu’elle faisait deux fois par jour entre son domicile et son travail et qui durait 25 minutes. Malgré le fait qu’elle n’avait pas bonne mine, qu’elle transpirait et qu’elle n’arrivait pas à maintenir son équilibre cherchant constamment à s’agripper à une barre ou à une rampe dans le métro, personne ne lui a jamais offert de lui laisser son siège. Pas une seule fois en 90 jours. Elle se sentait invisible. Et en fait, elle l’était vraiment.
Oui, les rames de métro sont placardées d’affiches demandant aux gens d’être courtois et de laisser leur siège aux personnes qui en ont besoin, mais cela arrive rarement et presque toujours aux profit de vieilles dames – et encore là, ce n’est pas garanti. Au-delà de cela, ce qui me frappe plus dans cette histoire, c’est l’incapacité de mon amie à exprimer son besoin.
Et pourtant, je la comprends. Je me sentais tout autant invisible et incapable de m’exprimer quand je prenais, chaque jour, les transports en commun pour aller faire mes traitements à l’Hôpital Princess Margaret, après mon opération. Il était hors de question que je demande à qui que ce soit de me laisser son siège. Pour cela, il aura fallu que j’attire l’attention de quelqu’un et comme la personne aurait sûrement était captivée par l’écran de son téléphone, de son ordinateur ou de sa tablette, j’aurais sûrement eu à tapoter la partie de son corps la plus proche de moi, puis j’aurais eu à lui expliquer pourquoi j’avais besoin de m’asseoir... parce que j’avais le cancer. On ne saura jamais si les gens m’auraient crue ou non, car malgré le fait que j’avais l’air étourdie, nauséeuse et fatiguée, et qu’à mon avis, j’avais l’air totalement hagarde, je paraissais trop jeune pour avoir un cancer. De plus, j’avais bien deux jambes, alors pourquoi aurais-je eu besoin de m’asseoir? Je n’avais non plus l’air d’être excessivement malade, comme si j’étais à l’article de la mort ou comme ces personnes atteintes d’un cancer que l’on voit dans les films.
Croyez-moi, il faut du courage pour oser demander à quelqu’un son siège dans des moments comme cela. Et puis, ça demanderait d’outre-passer les règles officieuses à respecter quand on prend le métro, à savoir se faufiler rapidement à l’ouverture des portes; choisir un siège qui ne soit pas mouillé, souillé ou recouvert de vomi ou autres fluides corporels, et s’y asseoir les jambes serrées et sa sacoche et/ou son sac à dos sur les genoux; garder ses écouteurs, que l’on soit ou non en train d’écouter quelque chose; regarder droit devant soi ou vers le bas pour ne pas croiser le regard des autres passagers; ne jamais parler, en particulier si c’était pour demander son siège à une personne, et ce, même si on est sur le point de tomber.
Le métro n’était pas le seul endroit où je me sentais invisible. J’avais ce sentiment également quand je marchais dans la rue pour me rendre à l’épicerie ou à la banque et que les gens me dépassaient, s’empressant de vaquer aux occupations de leur vie bien remplie, alors que la mienne était au ralenti. Je me sentais également invisible à la réception du service d’oncologie de l’hôpital, toujours rempli de monde, où le numéro de mon dossier médical me rappelait constamment que je n’étais qu’une femme parmi des milliers atteintes d’un cancer du sein.
Et puis, il y a eu ces moments intimes où, après l’ablation de la tumeur qui se trouvait dans mon aisselle droite, je me suis sentie invisible lorsque tout le monde autour de moi continuait à vivre normalement, alors que moi je dormais sans arrêt et que j’essayais désespérément de me créer une nouvelle normalité qui fasse sens et qui me donne envie de rester éveillée.
Plusieurs de mes amis et des membres de ma famille ont cherché à amoindrir mon état en le comparant à la façon dont on se sent quand on a une mauvaise grippe, et même une fois, à la façon dont on se sent quand on s’est fait retirer les amygdales. Je me suis sentie particulièrement invisible et ignorée sur mon lieu de travail, où j’ai dû être honnête à propos de mon état de santé, ce qui m’a coûté une promotion, et m’a valu d’être ignorée dans les réunions et d’être considérée comme ne contribuant pas suffisamment aux activités. Pire encore, ma patronne me traitait comme si je n’avais rien et m’a même une fois demandé comment j’allais! Maintenant que je vais bien et que je recommence à utiliser les applications de rencontre, c’est fascinant, surnaturel et, en même temps, déprimant de constater à quel point le visage des gens passe par l’horreur et l’inconfort pour finalement afficher l’expression « ravi(e) d’avoir fait ta connaissance » lorsque je leur dis que j’ai eu un cancer.
Je n’ai aucune solution à ce sentiment d’invisibilité. Dire haut et fort que l’on a un cancer du sein est un choix personnel que l’on doit faire indépendamment de ce que l’on ressent à l’intérieur. Pour moi, le temps qui passe a été une force. Je peux maintenant parler et raconter mon expérience sans gêne. Cela dit, je n’ai plus à me battre contre la maladie et je ne suis plus accablée par les rendez-vous et les décisions médicales à prendre, les traitements, le manque de sommeil et l’extrême fatigue.
Toutefois, j’avoue qu’il y a eu des moments où j’étais contente d’être invisible, car cela me faisait me sentir normale. Je ne voulais pas ni n’avais besoin que tout le monde sache ce que je vivais. Cette invisibilité m’a permis de préserver d’importants aspects de moi-même, comme ma dignité, ma force, mon courage et ma vulnérabilité, à un moment où j’en avais le plus besoin.
Récemment, j’ai vu sur Facebook une publication qui résume parfaitement le caractère invisible de cette maladie et de ces répercussions que j’ai adorée et que j’ai republiée sur mon compte Instagram. Je vais donc conclure cet article en la partageant avec vous : « Soyez fier(ère) de vous d’avoir surmonté les moments les plus difficiles de votre vie seul(e) alors que tout le monde autour de vous pensait que vous alliez bien. »
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Figure Skater Fitness, Living Luxe et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec ses deux chatons, Murphy et Olive. Vous pouvez la suivre sur Instagram (@AdrianaErmter).