Par Quinn Obrigewitch
Ma féminité irradie tout mon être. J’en suis arrivée à cette conclusion à la suite de la perte d’un attribut physique qui, depuis de nombreux siècles, représente un symbole puissant de la féminité et de la sexualité : mes seins. À l’âge de 18 ans, on m’a annoncé que j’étais porteuse de la mutation du gène BRCA1, à l’instar de ma mère, de ma tante et de ma sœur. Cela signifiait que mon risque d’être atteinte d’un cancer du sein était élevé.
Pendant de nombreuses années de ma jeunesse, le cancer du sein a tenu un rôle fondamental dans ma famille. J’ai pris part directement à cette bataille que ces femmes importantes de ma vie ont menée. Dès que ma mère a appris que son cancer du sein possédait une composante génétique, elle s’est engagée à faire en sorte que nous, ses enfants, participions à tout ce qui était lié au cancer du sein, que ce soient des séminaires, des rendez-vous chez le médecin ou la lecture de livres et d’articles. Elle tenait à ce que ses quatre filles potentiellement porteuses de la mutation BRCA1 gardent à l’esprit la maladie. Par conséquent, après la réception de mon diagnostic, j’avais l’impression que ma voie était déjà tracée. Le passé de ma mère devenait un aperçu de ce qui m’attendait. Mon subconscient et mon corps physique ont alors commencé à s’affronter. J’en voulais à mes seins ; je ne leur faisais plus confiance.
Deux ans plus tard, j’ai regardé la réalité en face quand je me déshabillais avant de subir mes mastectomies prophylactiques. J’ai montré un visage courageux quand je me suis rendue seule à l’hôpital. J’ai pris les pilules qu’on m’a offertes sans poser de questions et j’ai refoulé mes larmes au moment où le crayon du chirurgien se promenait sur ma peau. Peu de temps après, on m’escortait dans la salle d’opération où je devais me coucher, la chemise d’hôpital ouverte, le corps visible et la poitrine froide. Une partie de mon corps perçue comme sacrée était laissée sans protection. Mon corps, chaud et calme, était étendu sur la table et donnait une impression de crucifixion. Le contraste avec l’environnement froid et industriel a suscité chez moi un sentiment accablant de vulnérabilité extrême. C’est à ce moment qu’une pensée inédite a fait irruption dans ma conscience : serai-je moins femme au terme de cette opération ?
Cette question a marqué le début de ma délivrance et de la réappropriation de ma féminité.
Au départ, ma plus grande préoccupation tournait autour de mon célibat. En tant que jeune femme naïve, je désirais évidemment rencontrer une personne avec qui partager le reste de ma vie, mais comment pouvais-je m’attendre à être aimée alors qu’il me manquait un élément si important pour établir un lien intime ? L’amour est vaniteux, en particulier chez les jeunes. Au cours des quelques mois qui ont suivi mon opération, j’ai décidé de me montrer d’abord nue à moi-même avant d’être vue par une autre personne. Cette mise à nue était physique, mais également mentale. J’ai prêté attention à mes mouvements, à mes pensées et à mes sentiments et ce faisant, j’ai trouvé ma féminité dans des endroits inédits.
Elle résidait dans l’élégance de ma calligraphie, dans mon amour pour les êtres vivants, dans ma nature bienveillante et attentive et dans mon rire. Ma féminité se cachait dans ma compassion, la douceur de mon toucher et ma résilience. La féminité ne représente pas mon corps physique qui lui n’est rien de plus qu’un simple contenant. Elle existe plutôt dans mon âme. J’ai le droit de vivre comme je suis et d’aimer qui je suis.
Des cicatrices, magnifiques et rouge vif, ont remplacé mes mamelons et elles font office de signature de ma chirurgienne sur son œuvre d’art. J’invite toutes les femmes à explorer le canevas que constitue leur corps, à retrouver leur paix intérieure et à se concentrer sur l’amour de soi-même. Les personnes qui n’acceptent pas vos cicatrices rejettent votre parcours et votre féminité est bien trop belle pour être ignorée.