Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Par Adriana Ermter
Il y a un peu plus de deux mois, j’ai commencé à ressentir des douleurs étranges dans mon sein droit. Une sensation lancinante qui irradie du côté droit jusqu’au mamelon et en dessous du sein. Elle apparaît parfois quand j’appuie mon bras contre mon sein ou quand je bouge tout le bras. De temps en temps, je la sens quand mon bras repose contre ma poitrine. Toucher la zone avec les doigts ne fait qu’accentuer la douleur, et pourtant, comme je semble être incapable de contrôler mes impulsions, je passe mon temps à appuyer dessus pour vérifier que ça fait toujours mal. Ça fait toujours mal.
Évidemment, j’imagine le pire, la peur m’envahit à la pensée d’une possible récidive du cancer. Mais j’ai quand même patienté une semaine avant d’agir. La douleur ne disparaissant pas, j’ai appelé mon oncologue. Après plusieurs messages restés sans réponse, j’ai décidé de contacter mon médecin de famille, qui a envoyé une demande de rendez-vous au service d’oncologie. Puis est venue l’attente. Longue. Interminable. Je ne suis plus sous traitement actif et je suis en rémission, alors, étant donné la longue liste de patients atteints du cancer en attente de rendez-vous (merci à la COVID-19), je n’étais manifestement pas prioritaire.
La ténacité a du bon
À force de persévérance et de relances régulières, à la limite du harcèlement, auprès de mon médecin qui, à son tour, transmettait les demandes au service d’oncologie, j’ai finalement reçu une réponse. À ma grande stupeur, ce ne fut pas celle à laquelle je m’attendais. Mon ancien oncologue refusait de me recevoir. Je n’étais plus considérée comme sa patiente, puisque je n’avais plus le cancer. Son cabinet m’a renvoyée à mon chirurgien. Il a fallu deux séries de demandes de la part de mon médecin pour réussir à avoir un rendez-vous téléphonique. Le jour de la consultation, mon ancien chirurgien m’a dit que, comme j’avais eu un cancer de stade 1 et que mon traitement avait fonctionné, une récidive était peu probable. Il ne pouvait donc pas faire grand-chose pour moi. Quand je lui ai signalé que mon dernier dépistage datait d’il y a un an, il a admis qu’une mammographie était de mise, avant de me référer à une nouvelle oncologue.
Quelques lettres de mon médecin plus tard, le rendez-vous était pris et la consultation a pu avoir lieu. La nouvelle oncologue était aimable et rigoureuse; elle m’a rencontrée en personne, a examiné mes seins et écouté mes préoccupations. Elle aussi estimait qu’il était temps de faire un dépistage. Mes seins sont denses, alors nous avons convenu de faire une mammographie et une échographie pour les examiner sous tous les angles. Une IRM suivra peut-être, selon les résultats des autres tests.
Quand 50 n’est pas juste un chiffre
Je suis contente que le processus suive son cours. Les renvois de balle entre spécialistes, couplés à la nécessité de passer par mon médecin pour naviguer dans un système médical dont je fais pourtant déjà partie, en plus des périodes d’attente, ont été source de frustration, sans aucun doute. Malgré tout, je sais que je fais partie des chanceuses : ayant déjà eu un cancer du sein, je suis automatiquement admissible au dépistage. Certes, le processus a pris plus de temps que ce qu’il aurait dû, et je dois encore attendre un mois pour faire les examens, mais je suis dans le système. Le rendez-vous est inscrit dans mon calendrier.
Malheureusement, trop de femmes ne pourront pas se faire dépister avant leur 50e anniversaire. C’est particulièrement vrai pour celles qui n’ont pas d’antécédents personnels ou familiaux de cancer du sein, qui ne sont pas porteuses des gènes BRCA1 ou BRCA2 et qui n’ont pas de douleurs mammaires, d’enflure, de sensation de chaleur ou de rougeur, de décoloration, de durcissement dans une zone du sein ou de l’aisselle, d’écoulement du sein ou de croûte sur le mamelon, ou qui n’ont pas observé de changement dans la taille ou la forme d’un de leurs seins. Et non, je ne trouve pas cela normal. Je fais partie des 18 % de femmes qui reçoivent leur diagnostic avant 50 ans, et pourtant, je ne présentais pas de facteurs de risque.
Mais je connaissais mon corps. Je savais que la petite masse dure que je sentais sous la peau de mon aisselle droite n’avait rien à faire là. Alors, quand les médecins les uns après les autres la mettaient sur le compte de la calcification, j’ai choisi d’écouter mon intuition, plutôt que leur diagnostic. Je méritais d’être prise au sérieux. On le mérite toutes.
Militer pour la santé de ses seins
Être proactive et faire un dépistage annuel du cancer du sein, en particulier après 40 ans, c’est être proactive pour sa santé. Selon l’American Cancer Society, les femmes de 40 à 44 ans devraient avoir la possibilité de commencer les dépistages annuels, tandis que celles de 45 ans et plus devraient se faire dépister chaque année. Après tout, le dentiste prend des radiographies de nos dents chaque année pour vérifier la santé des racines, l’optométriste fait un examen de la vue tous les deux ans, et même les chiropraticiens et les physiothérapeutes recommandent des traitements annuels pour une santé optimale. Bon sang, les hommes subissent un examen de la prostate chez leur médecin tous les 12 mois pour éliminer le risque de cancer de la prostate. Il me semblerait logique de faire la même chose pour nos seins. Et pourtant...
Demander des comptes aux autorités canadiennes
En Ontario par exemple, où je vis, les femmes ont droit à une mammographie annuelle, mais seulement après 50 ans. En Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et au Yukon, les femmes peuvent demander leur première mammographie à partir de 40 ans. En Alberta et dans les Territoires du Nord-Ouest, les femmes ont droit à une mammographie après leur 40e anniversaire, mais sur demande du médecin. Il est temps de mettre fin à ces incohérences pour protéger la vie des femmes. Certes, les taux de mortalité liés au cancer du sein ne cessent de diminuer depuis la fin des années 1980, mais une étude (en anglais) de 2021 menée par la Radiological Society of North America montre qu’ils ont en réalité augmenté chez les femmes de moins de 40 ans. Or, ces femmes ne pourront pas effectuer de mammographie annuelle avant longtemps, du moins pas au Canada.
À ce jour, comme on peut le lire sur le site Web consacré au dépistage du cancer du sein au Canada, MyBreastScreening.ca (en anglais), 75 % des cancers du sein apparaissent chez des femmes qui n’ont pas d’antécédents familiaux ou les facteurs de risque associés à la maladie. La seule façon de faire diminuer ces statistiques serait de dépister le cancer du sein. Une détection précoce mène souvent à une issue plus heureuse. Elle permet aussi de diminuer le nombre d'opérations et de traitements nécessaires. Alors, tant qu’on ne se sera pas décidé à procéder de cette façon partout au pays, nous n’avons pas d’autre choix que de défendre nos propres intérêts, nos seins et nos vies, même si nous vivons déjà avec le cancer. Exigez une réforme provinciale et fédérale du système de santé et invitez toutes les personnes de votre entourage à soutenir la santé des femmes en améliorant les options médicales auxquelles elles ont droit. Pour la santé de nos seins.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Figure Skater Fitness et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec ses deux chatons, Murphy et Olive. Vous pouvez la suivre sur Instagram (@AdrianaErmter).