Par Adriana Ermter
Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Mes seins — ainsi que la tumeur qui se trouvait dans mon sein et mon aisselle, côté droit — ne sont pas une marque. Ils ne sont pas tatoués du ruban rose associé au cancer du sein, maladie qui m’a forcé à subir une opération invasive et douloureuse; qui m’a fait perdre ma libido, une boule de chair de la taille d’une boule de crème glacée ainsi que mon estime de moi, et qui m’a fait subir moult traitements invalidants, dont la prise quotidienne de tamoxifène, avec tous ses effets secondaires, pendant des années. Si je devais marquer mes seins, j’y apposerais une étoile en or pour m’avoir permis de m’en sortir!
Et pourtant, chaque année, en octobre, le cancer du sein se transforme en quelque chose de plus grand qu’une maladie potentiellement mortelle. Il devient ce wagon rose dans lequel embarquent les marques de vêtements, de maquillage, de produits pour le corps, de bijoux, d’appareils ménagers, les chaînes d’hôtels, de restauration — rapide et traditionnelle, et même les compagnies d’extraction de pétrole et de gaz, brandissant toutes autant qu’elles sont le petit Ruban rose en guise de soutien.
C’est ce que l’on appelle du marketing rose ou « pinkwashing ». Selon BreastCancer.org, il s’agit d’un marketing de cause sociale, un type de marketing unissant les efforts d’une entreprise à but lucratif et d’un organisme de charité où l’entreprise utilise le Ruban rose pour promouvoir la vente de produits ou services, l’objectif étant qu’une partie des bénéfices provenant de la vente des produits et services estampillés du Ruban rose soit reversée à l’organisme de charité. Beaucoup d’entreprises y participent. Mais beaucoup vendent aussi des produits contenant de dangereuses substances chimiques ou se servent de cette tactique à des fins politiques, en vendant des produits qui marginalisent ou donnent une fausse image des personnes atteintes de la maladie, ou pire.
Tout cela n’est pas nouveau. Le terme « pinkwashing » a été inventé il y a 22 ans par l’association américaine militante Breast Cancer Action en réponse à l’augmentation des campagnes de sensibilisation au cancer du sein et à l’utilisation commerciale du Ruban rose. Frustrée par le manque de responsabilisation et de transparence, ainsi que par l’hypocrisie des marques, cette association a lancé, en 2002, la campagne « Think Before You Go Pink » (pensez avant de roser) afin que cesse l’exploitation des personnes atteintes d’un cancer du sein et de la maladie en elle-même, et afin d’encourager les consommateurs à réfléchir avant d’acheter des produits et services estampillés du Ruban rose. Il est essentiel, pour vous, pour moi, pour tout le monde, de se poser les bonnes questions pour faire la différence entre les entreprises qui cherchent réellement à soutenir la cause et celles dont ce n’est pas l’objectif.
Certaines entreprises sont toutefois sincères dans leur démarche. Estée Lauder, par exemple, a créé en 1992 la Campagne contre le cancer du sein et établi un partenariat avec la Breast Cancer Research Foundation. Fondées par Evelyn H. Lauder, belle-fille d’Estée Lauder, elle-même survivante d’un cancer du sein — et soupçonnée d’avoir co-créé le Ruban rose avec Alexandra Penney, une ancienne éditrice en chef du magazine Self, l’entreprise et sa campagne ont, à ce jour, fait don de plus de 131 millions de dollars américains à la recherche mondiale.
Autre exemple, Kruger et sa marque de papier toilette, Cashmere. Cela fait plus de 20 ans que le défilé de mode annuel de la Collection Cashmere intrigue l’industrie canadienne de la mode avec ses vêtements haute couture créés par de grands couturiers et faits de papier toilette. Cette année, l’événement, qui aura lieu le 30 octobre, sera interactif et les spectateurs pourront voter en ligne pour leur tenue préférée. Un dollar canadien par vote sera reversé à la Société canadienne du cancer et à la Fondation du cancer du sein du Québec — pour un maximum de 50 000 dollars canadiens — pour le financement de programmes de prévention et de traitement du cancer du sein.
Il faut donc être vigilants dans ses choix afin de s’assurer que son argent sera effectivement utilisé dans la lutte contre le cancer du sein, reversé à des organismes compétents ou utilisé dans la promotion de réels changements au lieu de servir les intérêts d’une campagne marketing destinée à augmenter les ventes d’une entreprise.
Avant de sortir votre portefeuille, posez-vous les trois questions suivantes :
1. Combien d’argent sera reversé à la cause?
- Pourquoi est-ce important? La part que reversent certaines entreprises sur la vente de leurs produits estampillés du Ruban rose peut être minime ou plafonnée. Il peut, par exemple, s’agir de quelques cents par produit vendu ou d’un montant fixe indépendamment du montant des ventes générées par la campagne. En cherchant à connaître cette information, vous vous assurerez que votre achat a un impact significatif et contreviendrez, de ce fait, à la stratégie de marketing rose des entreprises qui veulent donner l’impression qu’elles supportent la cause tout en y contribuant très peu.
- Comment trouver l’information? Cherchez une déclaration de l’entreprise sur le pourcentage des ventes ou le montant — plafonné ou non — reversé aux organismes. Les entreprises doivent divulguer la manière dont les fonds sont distribués, si le montant des dons est plafonné ou s’il s’agit d’un pourcentage des ventes. Ma règle à moi? Si l’information n’est pas divulguée, je n’achète pas.
2. À quel organisme — ou cause — l’argent sera-t-il reversé, et à quoi servira-t-il?
- Pourquoi est-ce important? Tous les organismes n’utilisent pas l’argent qui leur est reversé de la même manière. Certains l’utilisent pour la recherche, d’autres pour aider les patients et d’autres encore, pour financer des campagnes de sensibilisation. En cherchant à connaître cette information, vous vous assurerez que l’organisme qui recevra votre argent correspond à vos valeurs et que votre argent sera utilisé à don escient. En divulguant cette information, les entreprises montrent également qu’elles ont sélectionné un organisme partenaire avec soin.
- Comment trouver l’information? Cherchez à savoir si l’entreprise parle d’un organisme partenaire, ou si elle donne des détails sur d’éventuels partenariats ou sur la façon dont l’argent sera utilisé — p. ex. subvention de recherche, services aux patients.
3. L’entreprise a-t-elle l’habitude de soutenir la cause en utilisant d’autres moyens que des campagnes marketing?
- Pourquoi est-ce important? Certaines entreprises peuvent utiliser le marketing de cause sociale de façon isolée, le temps d’une campagne promotionnelle, mais un engagement à long terme à la cause est un meilleur indicateur de sincérité. Cela pourrait, par exemple, se traduire par la tenue d’une collecte de fonds permanente, l’existence de politiques visant à soutenir les employés atteints d’un cancer du sein ou des partenariats à long terme avec des organismes de lutte contre la maladie. Les entreprises qui mettent en place des initiatives permanentes ou qui ont l’habitude de faire des dons sont plus susceptibles de vouloir avoir un impact positif que de faire du marketing de cause sociale pour augmenter brièvement les ventes de leurs produits.
- Comment trouver l’information? Passez en revue les contributions de l’entreprise aux causes liées au cancer du sein, ses politiques visant ses employés et ses activités philanthropiques. L’existence de rapports de transparence ou de preuves des dons effectués dans le passé est un bon indicateur d’engagement sincère. Les entreprises qui soutiennent des initiatives liées au cancer du sein depuis plusieurs années, comme Cashmere ou Estée Lauder, sont plus crédibles que celles qui lancent une campagne marketing isolée en octobre, mois de la sensibilisation au cancer du sein.
En conclusion, acheter un produit estampillé du Ruban rose peut signifier beaucoup pour vous, pour moi et pour toutes celles atteintes d’un cancer du sein. Il faut simplement se renseigner et se poser des questions afin de ne pas contribuer au marketing rose, et ce, dans notre intérêt à toutes.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Living Luxe, Figure Skater Fitness et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec ses deux chatons, Murphy et Olive. Vous pouvez la suivre sur Instagram (@AdrianaErmter).