Par Ashleigh Matthews
Ceci est un extrait du mémoire d’Ashleigh, intitulé Otherwise Grossly Unremarkable, dans lequel elle raconte comment, à l’âge de 35 ans, elle a découvert une masse dense dans l’un de ses seins, qui se révélera être un carcinome canalaire infiltrant multi-focal de grade 3 (stade III). Ashleigh vit avec son mari et leurs deux enfants à Conception Bay South, à Terre-Neuve-et-Labrador, et détient un baccalauréat en anthropologie culturelle de l’Université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador. Elle est aussi couturière et artiste textile. En plus de parler de son expérience avec le cancer du sein, elle est très attachée aux communautés d’artistes et d’artisans autour d’elle, ainsi qu’aux nombreux amis qu’elle s’est faits parmi les personnes touchées par le cancer du sein. Vous pouvez acheter son livre (en anglais) ici.
La deuxième des deux échographies eut lieu au début du mois de mai. Assise dans la salle d’attente — la même que la première fois (en décembre), j’attendis qu’on m’appelle, puis j’allai me changer et enfiler une jaquette d’hôpital dans les mêmes vestiaires. La radiologue n’était toutefois pas la même. Elle commença la conversation comme tout professionnel de la santé qui souhaite mettre ses patients à l’aise lors d’un examen qui requiert de se déshabiller.
« — C’est agréable ce temps plus doux, non?, me demanda-t-elle pendant que je m’allongeais sur la table d’examen.
— Oui, c’est beaucoup plus agréable de marcher de la voiture à l’hôpital, répondis-je en souriant.
— Ça va être un peu froid, me prévint-elle alors qu’elle pressait le tube de gel sur la sonde. »
Elle agissait comme quelqu’un qui avait l’habitude de prononcer ces paroles tout en faisant ce geste. Ensuite, elle plaça la sonde sur la partie supérieure de mon sein, celui qui était à l’origine du bouleversement qu’il y avait eu dans ma vie plusieurs mois auparavant.
« Hmm », fit-elle — cela pouvait aussi bien être un son qu’un mot. La conversation amicale sur le temps et la température du gel était maintenant finie. Je lançai un regard à la technicienne qui assistait la radiologue pour voir sa réaction, en espérant que celle-ci contredirait ma propre évaluation du changement d’attitude de la radiologue à la vue de ce qu’il y avait dans mon corps. Peut-être était-ce sa manière à elle de se préparer à faire un diagnostic et peut-être étais-je en train de suranalyser un signe normal d’application de la part de ce médecin, car après tout, nous ne nous étions jamais rencontrées auparavant. La technicienne était concentrée sur la radiologue et son visage ne me donna aucune raison de me détendre. Le langage corporel de la radiologue nous indiquait, à la technicienne et à moi, que quelque chose d’inattendu avait attiré son attention, et cela, dès le moment où elle avait posé la sonde sur la partie dense de mon sein droit.
La salle d’examen était devenue toute petite et tout ce qui comptait à ce moment-là, c’était la radiologue et l’écran qu’elle fixait depuis un moment. Elle examina cette partie dense de tissu mammaire sous tous les angles dans un silence quasi absolu. Ensuite, elle passa la sonde au-dessus et autour du mamelon inverti sous tous les angles possibles également, puis sur toute la surface du sein qui se trouvait en dessous du mamelon.
« — Je n’aime pas du tout la densité de ce sein », expliqua-t-elle enfin.
Je plussoie, pensai-je, incapable de prononcer à haute voix ce trait d’esprit.
« — J’aimerais que vous fassiez une mammographie pour avoir des images plus nettes de ces zones denses. Cela nous permettra également de comprendre ce qu’il se passe derrière le mamelon. »
Ces zones denses? Il y en a donc plusieurs?
« — Je vous prends immédiatement rendez-vous pour faire une mammographie », conclut-elle avec autorité. »
Cela me fit comme un coup de poing dans le ventre.
Respire un grand coup.
« — Quel est le délai d’attente pour une mammographie?, demandai-je d’une voix calme, la bouche sèche.
— J’appelle maintenant, répondit-elle. »
Elle se tourna vers le téléphone, qui se trouvait sur le bureau, à côté de l’écran de l’appareil, et composa un numéro interne à quatre chiffres de l’hôpital. Bien évidemment, « immédiatement » signifiait exactement ça : immédiatement. Cela ne se rapportait pas seulement à l’appel, mais également à la mammographie. Je regardai la technicienne qui se trouvait de l’autre côté et qui posa sa main sur mon bras en me faisant un sourire appuyé.
J’avais froid et je transpirais en même temps. Je rabattis les pans légers en coton de la jaquette sur ma poitrine. Je ne savais pas où poser mes mains ni quoi regarder pendant que la radiologue parlait à sa collègue. Est-ce que je devais demander mes vêtements? Est-ce que je devais me changer ou est-ce que la mammographie se ferait dans la même salle? Je n’arrivais pas à comprendre comment j’allais faire pour passer d’une salle d’examen à une autre étant donné l’urgence de la situation. La radiologue raccrocha le téléphone à la fin de la conversation, qui fut calme et brève.
« — C’est parfait, elle vient tout juste de finir son dernier rendez-vous, me dit-elle. Elle vous attend maintenant. »
Qui m’attend? Où ça? Des questions que, encore une fois, je n’arrivais pas à articuler et à poser à ce médecin qui venait tout juste de me prendre rendez-vous pour une mammographie en un temps record.
« — Ne vous en faites pas, répondit la radiologue à mon silence immobile. Allons-y, je vais vous accompagner à la salle de mammographie. »
En disant cela, elle s’était dirigée vers mes bottes qui se trouvaient sous la table d’examen, à l’extrémité. Elle irradiait de patience pendant que je mettais mes bottes et que j’enfilais une deuxième jaquette par devant afin de couvrir ma poitrine. Comme promis, elle m’accompagna personnellement dans la salle de mammographie, qui se trouvait à quelques couloirs de là et où une technicienne nous attendait.
Le contraste entre cette échographie — réaction de la radiologue après avoir vu l’image de mon sein — et la première échographie était plus surprenant que la mammographie en elle-même. Si l’on ajoute à cela la rapide transition entre la salle d’échographie et la salle de mammographie, c’est à peine si je me rendais compte que l’on aplatissait mes seins entre les plaques du mammographe. Pendant que la machine s’activait autour de moi, mon esprit et mes émotions étaient focalisés sur la neutralité forcée du visage de la radiologue lorsqu’elle avait vu l’étendue de la densité de mon sein à l’écran. Une professionnelle hautement qualifiée dans les domaines de l’oncologie et de l’imagerie diagnostique avait vu, dans mon sein, quelque chose qu’elle n’aimait pas et elle n’avait pas l’intention de me laisser partir sans avoir investigué davantage.
« — Mettez votre bras ici et tenez cette poignée, s’il vous plaît, me demanda la technicienne me ramenant à l’environnement où se trouvait mon corps : la jaquette ouverte, un sein aplati entre les plaques métalliques d’une machine de la taille et de la couleur d’un C-3PO décoloré.
« — Quand les images seront-elles disponibles?, demandai-je alors qu’elle continuait à ajuster ma position en tournant légèrement mes épaules.
— Ce ne sera pas long. Quelques jours tout au plus, le temps que le médecin les interprète. Mais, je me doute que cela va certainement vous paraître une éternité. »
Alors qu’elle se plaçait derrière l’écran de protection pour capturer plus d’images de la densité de mon sein, je me demandais si ce n’était pas les mots les plus vrais que l’on m’ait jamais dits de toute ma vie.