Par Alyssa Vito
Les thérapies traditionnelles contre le cancer (comme la chimiothérapie et la radiothérapie) ont démontré une efficacité généralisée pour lutter contre divers types de cancer. Elles sont toutefois aussi connues en raison de leurs effets secondaires indésirables, voire toxiques. En effet, puisqu’elles ne tuent pas uniquement les cellules cancéreuses, elles endommagent les cellules saines du même coup. C’est ici que l’immunothérapie entre en jeu. Elle utilise le système immunitaire du corps pour combattre le cancer qui s’y développe. Imaginez que votre corps est un champ de bataille et que votre système immunitaire joue le rôle des soldats de première ligne, prêts à attaquer les envahisseurs étrangers. Les cellules cancéreuses posent toutefois une difficulté : elles ne sont pas aisément reconnues comme des agents pathogènes (tels les virus et les bactéries) puisqu’elles proviennent de l’organisme de l’hôte. Il s’agit en fait de cellules normales qui ont muté. L’hypothèse selon laquelle le système immunitaire pourrait être utilisé pour cibler et tuer les cellules cancéreuses a été formulée il y a longtemps, mais trouver la bonne façon d’exploiter cette habileté demeure une tâche ardue.
Le système immunitaire
Les cellules du système immunitaire surveillent constamment nos tissus et parcourent notre corps à la recherche d’envahisseurs étrangers. Différents types de cellules immunitaires composent la réponse immunitaire complexe qui veille à garder notre corps en santé. Lorsqu’une tumeur se forme, une réaction immunitaire systémique se produit. En premier lieu, les cellules tueuses naturelles émettent des signaux de stress quand elles détectent des cellules endommagées et cancéreuses. Puis, les cellules dendritiques entrent en jeu en informant et en activant d’autres cellules immunitaires, comme les lymphocytes T cytotoxiques. Une fois activés, ces derniers jouent le rôle d’agents de la patrouille frontalière en vérifiant les antigènes de chacune des cellules qui passent près d’eux. Dans cette analogie, nous pouvons comparer les antigènes à des passeports. Les lymphocytes T cytotoxiques peuvent savoir que les antigènes des cellules tumorales sont « étrangers » et ne possèdent pas le « bon passeport ». Ces cellules sont alors étiquetées comme devant être détruites. Les lymphocytes T cytotoxiques et les cellules tueuses naturelles libèrent des protéines qui percent des trous sur la surface des cellules tumorales, ce qui mène à leur mort selon un processus nommé apoptose.
Au fur et à mesure que la tumeur évolue, des changements génétiques se produisent pour donner un avantage de survie à certaines cellules tumorales. Il en résulte ce qui s’appelle une « tumeur hétérogène », soit une tumeur composée de multiples types de cellules tumorales où chacun des sous-types possède son propre « passeport » d’identification. Même si certaines cellules peuvent être repérées et tuées par le système immunitaire en raison d’un « mauvais passeport », d’autres cellules muteront et évolueront de manière à ne plus exprimer l’antigène reconnu par les cellules tueuses. Ces cellules constituent le principal moteur de la persistance de la tumeur et elles échappent à leur mise à mort par le système immunitaire en présentant un « faux passeport ». Alors que le système immunitaire continue à travailler et à détruire les cellules qu’il peut reconnaître, celles qu’il échoue à reconnaître deviennent plus prévalentes et commencent à former une tumeur qui passera complètement sous le radar du système immunitaire.
Les cellules cancéreuses utilisent un autre truc pour survivre. Elles répriment activement le travail des lymphocytes T cytotoxiques en exprimant des molécules inhibitrices comme le ligand de mort programmée de type 1 (PD-L1). Ce ligand se lie au récepteur PD-1 des lymphocytes T et les désactive, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent plus tuer les cellules tumorales. Nous appelons cela un point de contrôle du système immunitaire. Les cellules tumorales peuvent aussi attirer des cellules immunitaires dont le rôle est de supprimer l’activité d’autres cellules immunitaires, ce qui en retour favorise la croissance de la tumeur.
Le blocage du point de contrôle
Divers types d’immunothérapie sont en cours d’élaboration. Peut-être avez-vous entendu parler du transfert adoptif de lymphocytes, de la thérapie par lymphocytes T porteurs de récepteurs antigéniques chimériques (CAR-T), de la thérapie par blocage du point de contrôle et de la virothérapie oncolytique. Alors que certaines immunothérapies cherchent à améliorer les propres lymphocytes T des patients ou à en multiplier le nombre, d’autres se concentrent sur le blocage des voies inhibitrices des lymphocytes T comme le PD-L1.
Depuis la découverte de la voie de signalisation PD-1/PD-L1 par le docteur Tasuku Honjo en 1992, les scientifiques ont étudié en profondeur les points de contrôle et l’utilisation d’anticorps facilitants pour les inhiber. Cette percée remarquable en oncologie a d’ailleurs permis au docteur Honjo de recevoir un prix Nobel en 2018. Cet honneur a été partagé avec le docteur James Allison qui a découvert de façon similaire le point de contrôle de la voie de signalisation de l’antigène 4 cytotoxique humain associé au lymphocyte T (CTLA-4). Les anticorps qui se lient soit au PD-1, au PD-L1 ou au CTLA-4 ont largement été utilisés dans le cadre de multiples essais cliniques et ont généralement donné de bons résultats pour de nombreuses formes de cancer.
Malheureusement, ce ne sont pas tous les patients qui réagissent bien à ces immunothérapies et certaines réponses sont retardées ou incomplètes. Ces différences peuvent s’expliquer en partie par le fait que pour un même cancer, deux patients exprimeront des niveaux différents de molécules comme le PD-L1. Comme vous pouvez sans doute le concevoir, plus un cancer exprime le PD-L1, plus importants seront les bénéfices d’une thérapie anti-PD-L1. Les thérapies personnalisées contre le cancer en sont encore à leurs balbutiements et nous ne comprenons pas tout à fait comment généraliser cette pratique dans un délai raisonnable en tenant compte de contraintes financières. Néanmoins, le domaine de l’oncologie se rapproche du moment où il sera possible d’analyser dans leur totalité les marqueurs immunitaires de chaque patient pour ensuite concevoir des régimes thérapeutiques personnalisés en fonction de l’environnement immunitaire unique de leur cancer.
L’immunothérapie pour le cancer du sein
L’immunothérapie pour le cancer du sein a connu un début lent. Le fait que la plupart des lésions mammaires présentent de faibles niveaux de cellules immunitaires et une faible expression de marqueurs tels le PD-L1 explique cette situation. De plus, de bonnes thérapies ciblées pour lutter contre les cancers du sein qui surexpriment des biomarqueurs hormonaux (comme le récepteur d’œstrogène ou le récepteur de progestérone) existent déjà. L’immunothérapie a connu une émergence très forte pour combattre un sous-type de cancer du sein très agressif, le cancer du sein triple négatif, qui exprime davantage le PD-L1 que les autres sous-types. Les patientes atteintes d’un cancer du sein triple négatif qui ont reçu un traitement faisant appel à des anticorps qui bloquent les points de contrôle ciblant la voie de signalisation PD-1/PD-L1 obtiennent de meilleurs résultats cliniques pour cette raison. Il importe toutefois de noter que dans la plupart des cas de cancer du sein, l’immunothérapie est associée à la chimiothérapie ou à la radiothérapie, ce qui améliore la réponse chez certaines patientes.
L’immunothérapie remplacera-t-elle les traitements actuels ?
Alors que les scientifiques continuent d’explorer des façons de manipuler et d’améliorer la réponse immunitaire naturelle du corps, la présence des immunothérapies dans les études précliniques et cliniques s’accroît. Pour l’instant, l’immunothérapie doit souvent être accompagnée de thérapies standards. Néanmoins, compte tenu des résultats positifs que nous avons constatés et de la toxicité limitée chez les patients, il est plausible de prévoir que l’immunothérapie deviendra dans le futur le seul traitement de première ligne contre de nombreux types de cancer.
Mon point de vue
Même si les traitements actuels (chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie) contrôlent bien la plupart des cancers du sein, les patientes doivent subir des procédures invasives et agressives qui entraînent un bon nombre d’effets secondaires, dont l’infertilité, les nausées, la perte de cheveux et l’atrophie musculaire. Je peux moi-même témoigner de ces effets secondaires dévastateurs. Je n’avais que 23 ans lorsque j’ai reçu un diagnostic de cancer du sein triple négatif de stade II. Puisque ce sous-type de maladie est considéré comme fondamentalement agressif et qu’il n’existe aucune cible hormonale claire pour une hormonothérapie, les patientes atteintes d’un cancer du sein triple négatif doivent souvent se soumettre à un régime thérapeutique extrêmement intensif. J’ai subi une mastectomie partielle, huit cycles de chimiothérapie à dose-densité et 33 séances de radiothérapie. Même si je peux attester que ces traitements m’ont sans aucun doute sauvé la vie, je peux aussi affirmer que je vivrai le restant de mes jours avec les effets secondaires à long terme qu’ils ont provoqués.
En tant que chercheuse dans le domaine de l’immunothérapie, je suis enthousiaste et optimiste quant à l’avenir du traitement du cancer. Partout dans le monde, des scientifiques étudient le système immunitaire de façon tellement détaillée que nous découvrons constamment de nouvelles fonctions et de nouvelles possibilités d’intervention dans les mécanismes internes complexes du corps. Comme la plupart des chercheurs, j’hésite à utiliser des mots comme « remède » lorsqu’il est question de l’avenir de la recherche sur le cancer. Je ne crois pas qu’il y aura un « remède » unique pour cette maladie. Cela dit, il semble de plus en plus évident qu’il serait raisonnable de songer à un avenir où le cancer deviendra une maladie « maîtrisable ». Et cela me réjouit.
Photo par Sam Moqadam sur Unsplash