Par Adriana Ermter
Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Il n’y a pas si longtemps, je me sentais confiante dans mon statut d’après-cancer. Comme si je m’élevais enfin au-dessus du simple fait d’être une survivante du cancer du sein et que je pouvais vraiment faire des choses de la vie réelle et me débarrasser enfin de certaines ombres persistantes. Cela me faisait du bien et me donnait de la force, et soudain, je me suis sentie prête à relever de nouveaux défis. C’est ce que j’ai fait, en allant nager à la piscine de mon centre communautaire. Mais, j’étais tellement nulle!
Avant de continuer, je dois vous donner quelques informations sur moi. Je suis une nageuse de longue date et une ancienne nageuse artistique de compétition (anciennement appelée natation synchronisée). Des années avant mon cancer du sein, j’étais également entraîneuse certifiée au niveau national dans ce même sport. J’étais douée pour ça. Mais la vie a fait que j’ai pris une pause de plusieurs dizaines d’années pour me concentrer sur ma carrière et j’ai arrêté d’entraîner des équipes. Un jour, alors en plein traitement contre le cancer du sein, j’étais allongée sur le canapé, malade et épuisée. Je regardais des épisodes en rafale d’une émission télévisée sur les pom-pom girls et j’ai décidé que je voulais à nouveau être entraîneuse. En regardant l’entraîneuse des pom-pom girls à l’œuvre, je me suis pris de nostalgie pour mon passé. J’adorais enseigner aux athlètes de nouvelles compétences qui leur donnaient confiance en elles et qui renforçaient leur estime de soi. Voir la joie de l’accomplissement sur leurs visages signifiait beaucoup pour moi à l’époque et, égoïstement, je voulais revivre ces expériences et refaire quelque chose qui avait un sens et un but. Je me suis donc promis que dès que je serais suffisamment rétablie, j’étudierais la possibilité de reprendre mon activité d’entraîneuse.
Le retour comme entraîneuse a été étonnamment facile. Se mettre au diapason d’un sport qui avait radicalement changé depuis la dernière fois que j’avais mis les pieds dans l’eau ne s’est pas fait sans heurts. J’avais du pain sur la planche! J’ai suivi des cours, puis d’autres cours, étudié des centaines de vidéos et interviewé de manière informelle d’autres entraîneur·ses de niveau national. J’ai été en tout temps 100 % transparente au sujet de mon handicap invisible, à savoir mes limitations physiques et ma mémoire déficiente. Mon entraîneur principal et mes collègues ont été formidables. Ils savaient que j’étais sur une courbe d’apprentissage abrupte et m’ont soutenue à chaque étape. Je continue d’apprendre, et j’aime ça. Plus important encore, j’adore entraîner mes deux équipes de haut niveau qui concourent au niveau national (catégories 12-15 ans et 45-71 ans). J’aime aussi travailler avec les jeunes sportifs amateurs (catégorie 5-10 ans).
Ce que je veux dire, c’est que je comprends les efforts que doivent fournir un·e athlète et son entraîneur·se pour être bons dans un sport. Je savais donc que retourner dans l’eau pour mon propre entraînement ne serait pas un jeu d’enfant.
Au début, je n’arrivais pas à parcourir 25 mètres en crawl sans m’arrêter pour reprendre mon souffle, alors que c’était la nage dans laquelle j’excellais et j’étais le plus rapide. Haletante, je me mettais sur le dos à mi-chemin du couloir et faisait la planche en inspirant profondément avant de me retourner et de me rendre à l’autre bout de la piscine. Mon corps me trahissait alors que j’avais fait des séances de physiothérapie et que j’avais suivi des cours de natation pour adultes pour m’assurer que mon corps était capable de supporter les mouvements. Mes muscles me faisaient mal, mes poumons me brûlaient et j’étais épuisée. Mais, j’adorais ça.
Une fois que j’avais pris le rythme, j’ai commencé à aller à la piscine à 6 h 30 deux ou trois fois par semaine. J’étais ridiculement lente et maladroite, mais chaque fois que je me glissais dans l’eau, une gratitude et une paix intérieure m’envahissaient. Au bout de six mois, je pouvais nager 400 mètres sans m’arrêter. Bien sûr, les effets de la radiothérapie sur mes poumons m’obligeaient à alterner le crawl et le dos crawlé, mais je m’en fichais. Le plus beau dans tout ça, c’est que je m’étais fixé un objectif : suivre le cours de sauveteur national.
Bien que je n’aspirais pas du tout à travailler comme sauveteuse, en tant qu’entraîneuse de natation artistique à temps partiel, faire cette certification était une bonne chose. Je savais que ce serait rigoureux et difficile, mais j’étais prête. Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est d’avoir l’impression de régresser et que tout ce que j’avais surmonté serait effacé par les préjugés d’une seule personne.
Dès ses premiers mots, il était clair que l’instructeur du cours avait une idée de ce à quoi un sauveteur « devait » ressembler. Et ce n’était pas moi. J’étais trop vieille, une femme et pas assez en forme à ses yeux. Cela importait peu que je sois entraîneuse de natation artistique certifiée au niveau national ou que j’aie travaillé sans relâche pour retrouver ma force après le cancer. J’avais été honnête sur le fait que j’avais eu un cancer et j’étais réaliste quant à mes capacités physiques — je savais que je ne pourrais pas nager le 400 mètres en 10 minutes (j’ai fait 11 minutes). Malgré cela, j’étais impatiente d’apprendre et de participer, et je le lui ai dit. Mais, il s’en fichait.
« Pourquoi vous donner la peine? », m’a-t-il répondu. Et il ne s’est pas arrêté là. Il a ajouté que j’étais trop vieille; que ce cours était trop difficile pour quelqu’un comme moi; que j’allais perdre mon temps; qu’en tant qu’entraîneuse de natation artistique, je n’avais pas besoin de cette certification; et que je pouvais rester si je le voulais, mais que je ferais mieux de rentrer chez moi.
J’étais estomaquée. Je pensais avoir laissé derrière moi l’époque où l’on me sous-estimait à cause des conséquences du cancer sur mon corps. Mais voilà où j’en étais. Je me sentais à nouveau petite et rabaissée — non pas à cause de la maladie cette fois, mais parce que quelqu’un avait choisi de ne pas voir ma force. Il n’était pas comme ça qu’avec moi. Il avait créé un environnement dur et punitif. Il nous a dit que si nous arrivions moins de 15 minutes à l’avance, nous ne pourrions plus rentrer. Il a ignoré les directives officielles du cours, à savoir 60 % de temps dans l’eau et 40 % de temps en classe, nous poussant à passer 85 % ou plus dans la piscine chaque jour — et nos journées faisaient neuf heures et demie. Le cours était devenu un test d’endurance et non un apprentissage. Les adolescents pleuraient tous les jours. Les mineurs épuisés s’endormaient sur la plage de la piscine. Il nous poussait à nager dans des temps impartis et à effectuer des exercices de sauvetage intenses, encore et encore, jusqu’à ce que nous soyons physiquement et émotionnellement anéantis.
Un après-midi, lors d’un exercice, il m’a demandé de courir sur la plage mouillée de la piscine. Je l’ai fait malgré moi parce que c’était plus facile que de faire face à sa cruauté, à sa condescendance et à son ostracisme si je ne le faisais pas. J’ai glissé et je suis tombée violemment sur le béton, juste devant lui. Il ne m’a pas aidée. Il ne m’a demandé si j’allais bien qu’une heure plus tard en s’approchant de moi avec désinvolture et en me disant : « vous voulez qu’un maître-nageur vienne vous voir? ».
J’ai continué. J’avais des bleus, j’avais mal, j’étais épuisée, mais je suis restée.
Plus tard, devant tout le monde, il a fait un commentaire sur mon corps, disant au groupe de ne pas me choisir comme partenaire de sauvetage parce que je serais « trop difficile » à porter, insinuant que j’étais en surpoids. Alors que ses mots restaient en suspens, mon visage s’est enflammé de honte et de colère. Il m’avait réduite à un rôle de figurante. Plus tard, lorsqu’il a dû s’absenter momentanément, trois des lycéennes sont venues me voir et se sont excusées pour ses paroles, reconnaissant que ce qu’il avait dit n’était pas correct. Leur gentillesse m’a aidé sur le moment, mais à l’intérieur, je me sentais humiliée et indigne. Ses mots avaient fait mouche. Je pensais être guérie émotionnellement des blessures psychologiques causées par le cancer, mais j’avais manifestement tort. Cet incident m’a plongé dans un sentiment trop familier d’exclusion de la vie, comme si j’étais forcée de regarder les autres avancer depuis le banc de touche et de m’interroger sur ma capacité à reprendre ma vie en main. Ma mentalité de cancéreuse était de retour, même si, ironiquement, j’avais moins de pouvoir et de contrôle que lorsque je luttais contre la maladie.
J’ai terminé le cours, mais comme j’avais nagé le 400 mètres en 11 minutes et le 50 mètres en 62 secondes au lieu de 60 secondes, j’ai été recalée. Mais, ça, je le savais depuis le premier jour.
Il m’a fallu un certain temps pour assimiler mes émotions, l’expérience que j’avais vécue et la façon dont je voulais procéder, mais j’ai fini par écrire à l'organisation facilitant le cours pour leur faire part de ce que j’avais vécu. J’ai tout décrit : l’insécurité, la coercition et la démoralisation que j’avais ressenties pendant le cours; comment l’instructeur avait ignoré ma vulnérabilité et puni les autres pour la leur; et comment le cours ne reflétait pas les valeurs humaines fondamentales que sont l’inclusion, la sécurité et le respect. J’attends toujours une réponse appropriée. Celle que j’ai reçue indiquait simplement, après m’avoir réprimandée d’avoir mis trop de temps à prendre contact avec eux, que mes commentaires seraient transmis à l’instructeur.
Faire face à un diagnostic de cancer est déjà assez difficile sans que des voix extérieures ne viennent vous démolir. Je ne sais pas quelles seront mes prochaines démarches dans cette affaire, si je décide d’en entreprendre. Pour l’instant, je choisis de me concentrer sur la refonte de ma perception de moi-même et sur ce que je peux accomplir. J’ai un peu l’impression de revenir à la case départ, mais au moins je peux contrôler ce qui arrivera et, je l’espère, mes propres résultats.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans IN Magazine, Living Luxe, 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef des magazines Salon et Childview habite à Toronto avec ses deux chatons très gâtés, Murphy et Olive, qu’elle a recueillis. Vous pouvez la suivre sur Instagram (@AdrianaErmter).