By Adriana Ermter
Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
La dernière fois que j’ai passé une bonne nuit de sommeil profond et ininterrompu, c’était avant que j’apprenne que j’avais un cancer du sein. Parce que depuis, c’est comme si le sommeil m’avait larguée, qu’il était parti sans jamais revenir.
Je me souviens très bien de la première nuit qui a suivi l’annonce de mon cancer du sein. J’étais couchée dans mon lit, bien réveillée, les yeux fermés, et j’écoutais Trixie, ma chatte, ronronner à côté de moi. Mon corps était lourd, mais mon esprit était en ébullition : mes pensées défilaient, toutes mélangées. C’était le début d’une nouvelle forme d’insomnie. Pas le genre d’insomnie qui empêche de s’endormir, mais celui où le sommeil est devenu quelque chose d’inatteignable.
Après l’annonce de mon cancer, mon système nerveux s’est mis en état d’alerte. La réaction de combat ou de fuite de mon cerveau, déclenchée par la peur et l’incertitude, a soudainement été agrémentée d’hormones de stress. Ce qui, apparemment, est normal. C’est comme ça que notre organisme réagit pour survivre. Sauf que lorsque les hormones de stress se mettent en marche et ne s’arrêtent plus, c’est épuisant. Demandez à n’importe quelle femme atteinte d’un cancer du sein et je parie qu’elle vous dira la même chose. Un article de recherche publié en 2023 dans Science Direct a révélé que 62 % des personnes atteintes d’un cancer du sein dorment mal et sont deux à trois fois plus susceptibles que les autres d’avoir un sommeil perturbé. Pourtant, cette insomnie initiale n’était qu’un début.
L’insomnie à la suite de l’opération
Après l’opération, j’ai connu différents problèmes de sommeil. Il y avait, bien sûr, les douleurs lancinantes des incisions, la tension dans la poitrine et la douleur sourde dans l’aisselle et le sein qui m’empêchaient de dormir. Mais, j’avais aussi l’impression de ne plus connaître mon propre corps. Je ne savais pas où mettre mes bras quand j’étais couchée. J’avais peur de me blesser, même si je savais que ce n’était pas rationnel, puisque j’allais seulement rester couchée. Je n’arrivais pas à trouver une bonne position pour la nuit malgré mon oreiller extra long, super doux et moelleux. Quand j’arrivais à m’endormir, une douleur lancinante me réveillait au bout d’une heure. Les douleurs post-chirurgicales et les problèmes de mobilité sont courants, en particulier lorsque l’on a subi l’ablation d’un ganglion lymphatique — ce qui était mon cas. Mais, ceux-ci semblent être aggravés par les émotions sous-jacentes liées au fait de se sentir physiquement différente et émotionnellement vulnérable.
L’agitation due à la radiothérapie
La radiothérapie m’a épuisée, mais pas le genre d’épuisement qui donne envie de dormir. C’était un épuisement profond, persistant, associé à une peau rouge et tendre qui semblait être en feu. Semaine après semaine, j’oscillais entre l’envie de me cacher sous mon bureau, au travail, et de dormir (oui, j’avais commis l’horrible erreur de travailler pendant le traitement) ou de m’allonger, les dents claquantes, dans un bain rempli de glace. Ces séances quotidiennes de radiothérapie ont aggravé mes symptômes physiques, entraînant une charge mentale que je n’aurais jamais pu prévoir. Mon cerveau s’éteignait plusieurs fois par jour de manière aléatoire, ce qui me faisait paraître comme une idiote. Je n’arrivais plus à me rappeler le nom des gens. Mes pensées étaient fugaces. Quand je parlais avec quelqu’un, je devais souvent m’arrêter pour demander de quoi on parlait. Je ne me souciais plus de mon apparence. Je n’avais plus l’énergie de cuisiner et, même si je me reposais souvent, ce n’était jamais assez. Selon la Société canadienne du cancer, l’extrême fatigue est l’effet secondaire le plus commun de la radiothérapie, ce qui est réconfortant à savoir, mais qui n’aide nullement.
Les terreurs dues au tamoxifène
Et puis, il y a eu « l’effet tamoxifène ». Personne ne m’avait prévenue qu’une si petite pilule pourrait bouleverser mes nuits à ce point. Quelques jours après avoir commencé le traitement, je me suis réveillée au milieu de la nuit en sueur, les draps trempés, le cœur palpitant — les bouffées de chaleur et les sueurs nocturnes étaient violentes. J’ai jeté les couvertures, me suis séchée avec une serviette, ai changé de pyjama et de draps, puis me suis recouchée dans mon lit. Quelques minutes plus tard, tremblant de tout mon corps, je me suis réfugiée sous ma couette, tout ça pour recommencer à transpirer quelques heures plus tard. Le tamoxifène a totalement chamboulé mon système hormonal. En plus des sueurs nocturnes, j’avais des douleurs aux articulations, des sautes d’humeur, de la sécheresse vaginale qui provoquait des douleurs, des nausées et… aucun sommeil. Le manque de sommeil avait un impact sur ma capacité à réfléchir et me faisait ressembler à un zombi pendant la journée.
Personne ne nous prévient de tout cela, ou du moins pas de manière détaillée ou spécifique. Finalement, les brochures qu’on lit et les commentaires des médecins lors des rendez-vous hebdomadaires sont assez vagues.
La fatigue liée au cancer
Les rendez-vous médicaux, les traitements, les effets secondaires, les médicaments… tout cela entraîne de l’épuisement que l’on qualifie de « fatigue liée au cancer ». Différente des autres types d’épuisement liés au cancer du sein, il s’agit d’une fatigue profonde et persistante dont aucun repos ne peut venir à bout. La première fois que je l’ai ressentie, c’était pendant les traitements, mais pour beaucoup, cette fatigue peut survenir plusieurs mois après les traitements, voire en phase de rémission. C’est une fatigue physique et mentale qui donne l’impression d’évoluer au ralenti. On oublie les mots les plus simples. Parfois, le simple fait même de devoir se brosser les dents s’avère accablant.
Un article publié en 2024 par la Mayo Clinic associe la fatigue liée au cancer à de l’inflammation, de l’anémie, des changements hormonaux et au tribut émotionnel découlant de l’état d’incertitude constant dans lequel les personnes atteintes d’un cancer vivent. De plus, cela peut se manifester différemment dans le temps : certains jours, on peut paraître bien, sourire, cuisiner et répondre à ses courriels, mais se sentir épuisée à l’intérieur; et d’autres jours, on a du mal à sortir du lit. Ce n’est ni de la paresse ni de la dépression. C’est un phénomène réel qui peut diminuer avec le temps, mais qui peut aussi subsister — ce qui est mon cas.
Il existe des solutions pour lutter contre la fatigue et l’insomnie. Par exemple, j’évite de manger du sucre, car il provoque une surchauffe de mon corps. J’utilise toujours mon oreiller surdimensionné de chez Canadian Down & Feather que j’adore et sans lequel je ne pourrais pas dormir. Pour m’apaiser, j’utilise des draps de coton frais et je me frotte une goutte rafraîchissante d’huile essentielle de menthe poivrée sur la nuque. Marcher et nager plusieurs fois par semaine me permettent de relâcher les tensions. Avant de m’endormir, je lis quelques pages d’un livre pour l’inspiration — un vrai livre, pas un livre électronique, pour éviter la lumière bleue. Parfois, je reste tout simplement couchée dans mon lit et je respire lentement, les mains posées sur la poitrine.
Depuis que j’ai terminé les traitements, j’ai besoin de plus de sommeil que jamais auparavant. Maintenant, je fais des siestes et je vais me coucher tôt le soir. Pas par obligation, mais parce je le veux. Je refuse souvent des invitations parce que rien n’est plus agréable que d’être couchée dans mon lit avec mes deux chats, Murphy et Olive, collés contre moi (Trixie s’en est allée au paradis des chats). Et puis, j’aime me lever tôt et commencer ma journée avec un café et au calme. Ce nouveau rythme, plus lent, est pour moi une récompense après tout ce que mon corps a vécu.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans IN Magazine, Living Luxe, 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef des magazines Salon et Childview habite à Toronto avec ses deux chatons très gâtés, Murphy et Olive, qu’elle a recueillis. Vous pouvez la suivre sur Instagram (@AdrianaErmter).