Par Adriana Ermter
Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Si vous êtes comme moi, vous avez dû bien vous amuser, l’année passée, à regarder des vidéos et des publications sur le « calcul de fille » (crazy girl math) sur TikTok et Instagram. Mieux encore, vous avez vous-même utilisé cela comme prétexte pour justifier vos propres achats! Comme, par exemple, le jour où il vous restait 10 $ sur votre carte Starbucks et que vous avez acheté un Americano à 3,95 $ à boire sur le chemin du travail et un café frappé espresso Frappuccino à 7,95 $ à boire plus tard, au bureau. Avec les taxes, ces deux achats vous sont revenus à 13,45 $, c’est-à-dire que c’était pratiquement gratuit, puisque vous n’avez eu à payer que 3,45 $!
Si utiliser ce genre de calcul pour justifier ses achats est drôle, cela ne reflète pas du tout la réalité! Mais, le processus de rationalisation utilisé me rappelle, en partie, celui que l’on utilise pour le cancer du sein chez les jeunes femmes.
Imaginons, par exemple, que vous trouviez une grosseur dans l’un de vos seins — ou sous l’une de vos aisselles, comme moi — et que, comme vous savez que ce n’est pas normal, vous décidiez d’aller voir votre médecin pour la faire examiner. Après l’avoir examinée, votre médecin vous envoie faire des analyses dans un centre d’oncologie. Lors de votre rendez-vous au centre, vous enlevez vos vêtements et enfilez une blouse d’hôpital, puis on vous dit que ce n’est rien, que vous êtes trop jeune pour avoir un cancer du sein, que vous n’avez pas d’antécédents familiaux, que vous n’êtes pas porteuse des mutations problématiques des gènes BRCA1 et BRCA2, que vous ne ressentez aucune douleur, et qu’il n’y a aucun œdème, aucune décoloration, aucun aspect de peau d’orange. On vous dit de ne pas vous inquiéter, que vous n’avez pas besoin de faire d’autres analyses et que vous pouvez rentrer chez vous. Comme les conditions typiques d’un cancer du sein ne sont pas réunies, on vous donne toutes sortes de justifications pour vous persuader que vous n’avez pas de cancer du sein. Or, comme pour les cafés « gratuits » que vous avez pris chez Starbucks, vous finirez par en payer le prix, car cela ne fait aucun sens.
Les jeunes femmes et la « logique » du cancer du sein
Comme moi-même, beaucoup trop de femmes de moins de 65 ans — âge moyen pour un premier diagnostic de cancer du sein selon le Réseau canadien du cancer du sein — sont victimes de ce type de raisonnement. Je rigole en comparant cela à du « calcul de fille », mais en réalité, on appelle cela de l’inégalité de traitement dans le domaine de la santé. Les jeunes femmes ayant des inquiétudes quant à un possible cancer du sein se voient souvent congédier à cause de ce type de raisonnement. Les professionnels de la santé rejettent nos symptômes sous prétexte que le cancer du sein survient principalement chez les femmes plus âgées. Nous sommes donc ignorées et, comme avec la carte Starbucks, nous finissons toujours par en payer le prix.
Cette inégalité de traitement mène trop souvent à un diagnostic tardif de la maladie chez les jeunes femmes, ce qui augmente les diagnostics de cancers avancés lorsqu’on nous prend enfin au sérieux et que des analyses sont effectuées. Or, cela ne devrait pas se passer ainsi.
Certes, selon la Société canadienne du cancer, près de 50 % des cas de cancer du sein concernent des femmes ayant entre 50 et 69 ans, et 33,4 % concernent des femmes de 70 ans et plus. En revanche, les jeunes femmes qui, comme moi, ont entre 30 et 49 ans ne représentent que 16,3 % des cas de cancer du sein, et les femmes de moins de 30 ans ne représentent, quant à elles, que 0,5 % des cas de cancers du sein, soit 16,8 % en tout. Toujours selon la Société canadienne du cancer, le cancer du sein est le cancer le plus commun chez les femmes au Canada. C’est également le deuxième cancer le plus mortel. L’an dernier, 80 cas de cancer du sein ont été diagnostiqués quotidiennement au Canada — et 5 400 femmes en sont mortes au cours des 365 derniers jours. Cela signifie donc que, même si cela est plus rare, les femmes de moins de 50 ans peuvent effectivement avoir un cancer du sein. Et nous devrions d’autant plus être écoutées en raison des défis et des disparités spécifiques en termes de réponses aux traitements associés à notre tranche d’âge.
Le cancer du sein est de plus en plus courant chez les jeunes femmes
Le nombre de jeunes femmes atteintes d’un cancer du sein ne cesse d’augmenter. Une étude réalisée en 2023 par le Journal of American Medical Association Network (JAMA) a montré qu’entre 2000 et 2009, le nombre de cas de cancer, en particulier chez les femmes, a augmenté de 19,4 % chez les gens âgés de 30 à 39 ans, et de 5,3 % chez les gens âgés de 20 à 29 ans. De plus, le cancer du sein représentait le plus grand nombre de cas. Ces résultats sont confirmés par le centre médical de l’Université de Yale, Yale Medicine, qui considère que le cancer du sein est le cancer le plus commun chez les femmes âgées de 15 à 39 ans.
Pour les 50 % d’entre nous qui n’ont aucun antécédent familial de cancer du sein, cela ne fait aucun sens. Toutefois, les chercheurs étudient l’influence de facteurs liés au mode de vie, comme la consommation d’alcool, l’alimentation, le statut socio-économique et la pollution, ainsi que celle d’autres facteurs comme la densité mammaire, la procréation après l’âge de 35 ans, la précocité des règles et une ménopause tardive, qui expose les seins plus longtemps aux œstrogènes. La race peut également jouer un rôle, comme le montre cette étude réalisée en 2020 par la National Library of Medicine qui a trouvé que les femmes noires de moins de 45 ans avaient plus de risque de développer un cancer du sein que les femmes blanches.
Risques encourus par les jeunes femmes atteintes d’un cancer du sein
Les jeunes femmes atteintes d’un cancer du sein sont plus susceptibles de développer des complications, d’être atteintes d’un cancer métastatique et de mourir de la maladie. Selon la Société canadienne du cancer, le cancer du sein tend à être plus agressif, à être diagnostiqué à un stade plus avancé et à moins répondre aux traitements chez les femmes de moins de 40 ans. Les raisons à cela sont multiples et comprennent le diagnostic tardif, une prise de conscience limitée chez les jeunes femmes et le caractère unique des particularités biologiques du cancer chez cette tranche d’âge.
L’impact psychologique peut s’avérer plus important chez les jeunes femmes. En effet, beaucoup de jeunes femmes atteintes de la maladie sont célibataires comme moi. Sans compagne ou compagnon, on doit souvent tout faire toutes seules — rendez-vous médicaux, opération, traitements. Et lorsque l’on n’arrive pas à gérer ses propres besoins élémentaires, on peut être amenées à se sentir isolées, coupables, anxieuses, fatiguées. Pour couronner le tout, du fait de leur âge, les jeunes femmes sont plus susceptibles de connaître une récidive du cancer.
Comment faire pour remédier à cette inégalité de traitement?
Savoir comment gérer tout cela peut être intimidant. On peut commencer par s’informer sur la santé de ses seins et les facteurs de risque. Je ne parle pas de consulter des sites comme Doctissimo ou PasseportSanté, mais plutôt de rechercher des informations sûres sur des sites fiables comme rubanrose.org ou Jeune & Rose. Il est crucial de défendre ses droits et ses intérêts pour pouvoir contrer le scepticisme des professionnels de la santé et le refus d’analyses. N’acceptez aucun refus! Si votre médecin ne vous aide pas, changez de médecin. Ensuite, vous devez insister pour que l’on vous fasse une évaluation de risques personnalisée et que l’on vous propose des options de dépistage adaptées à votre âge et à vos antécédents médicaux, en particulier si vous n’avez aucun antécédent familial lié au cancer du sein. Si vous pensez avoir senti une grosseur dans la région mammaire, demandez à votre médecin de vous envoyer faire une mammographie. Le jour de la mammographie, demandez à la personne qui réalise l’examen de vous dire si vous avez une forte densité mammaire.
Avoir des seins denses est commun et normal, en particulier chez les jeunes femmes. Mais cela peut également augmenter le risque de cancer du sein et une forte densité mammaire peut rendre difficile la détection des tumeurs à la mammographie. Si vous avez des seins denses, demandez à faire une échographie mammaire. Vous avez également totalement le droit de chercher à avoir une seconde opinion; prenez rendez-vous chez un ou une spécialiste et faites-lui part de vos craintes. Vous pouvez également rejoindre une association de défense des droits des patients. Cela vous donnera plus d’assurance, vous y trouverez un esprit de communauté et vous bénéficierez du soutien d’autres femmes qui vivent ou ont vécu la même chose que vous. La parole permet de lutter contre la stigmatisation, d’échanger des points de vue et de lutter contre la désinformation. Les organismes comme Dense Breasts Canada, Rethink Breast Cancer, MyBreastScreening.ca (en anglais) et rubanrose.org (en français) sont d’excellentes sources d’information, car ils publient des informations pertinentes, fiables et d’actualité qui vous permettent d’expliquer vos besoins aux médecins afin que vous puissiez prendre les meilleures décisions pour votre santé. Chaque pas que nous faisons permet de créer plus d’égalité de traitement pour les femmes atteintes d’un cancer du sein.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Living Luxe, Figure Skater Fitness et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec ses deux chatons, Murphy et Olive. Vous pouvez la suivre sur Instagram (@AdrianaErmter).