Dans notre rubrique mensuelle, la rédactrice en chef et auteure Adriana Ermter raconte son expérience du cancer du sein.
Par Adriana Ermter
Je pensais rarement au cancer du sein avant de recevoir mon diagnostic. Ça arrivait une fois par année, en juin habituellement, au moment où je préparais la liste des produits de beauté portant le logo du ruban rose que je souhaitais mettre en valeur dans le prochain numéro d’octobre de FASHION, de Salon, de 29Secrets ou de tout autre magazine pour lequel je travaillais à ce moment-là. À part ça, je n’y songeais pas. Aucune maladie n’occupait mes pensées en fait. Les membres de mon cercle restreint étaient tous en santé, si on exclut mon grand-père maternel mort d’une sclérose du foie en raison de son alcoolisme quand j’avais environ cinq ans et ma grand-mère paternelle décédée de la maladie d’Alzheimer au début de ma trentaine.
J’ai quelques souvenirs fugaces de mon grand-père, mais malheureusement, ils ne sont pas très plaisants. Par contre, j’adorais ma grand-mère de tout mon cœur. Malgré tout, sa maladie me semblait loin de moi, un peu comme je me sentais quand je croyais que j’étais trop jeune, trop en santé et trop en sécurité pour avoir un cancer du sein parce que je n’avais pas d’antécédents familiaux de la maladie. C’était idiot de ma part, je sais. Je ne suis pas fière de ce raisonnement ridicule, mais je ne suis pas une exception.
Selon Source OSBL d’Imagine Canada, 85 pour cent des Canadiens ne contribuent à une cause que s’ils croient en elle. En outre, 61 pour cent des Canadiens n’accordent une aide financière que s’ils ont été personnellement touchés. Comme moi auparavant, les gens ont du mal à être proactifs au sujet d’une maladie. Ils s’en fichent encore plus s’ils ne sont pas touchés de près. Mais le cancer du sein s’immisce de près dans votre vie, même si vous croyez cela impossible. J’en suis un exemple. Je ne présentais aucun des facteurs de risque du cancer du sein. Je n’avais ni l’âge ni les antécédents familiaux, aucun historique de cancer, de radiothérapie, aucun gène BRCA 1 ou 2 ou même une douleur au sein ou un changement de sa couleur. Mais lorsque vous faites les calculs mathématiques qui correspondent aux statistiques du cancer du sein au Canada, les résultats correspondent parfaitement à ma situation. Ce sera peut-être votre cas également lorsque vous jetterez un coup d’œil à ces chiffres.
1 femme sur 8 : Selon la Société canadienne du cancer, c’est la proportion de femmes qui recevront un diagnostic de cancer du sein au cours de leur vie, qu’elles présentent ou non les facteurs de risque. Il s’agit pour moi de la statistique qui frappe le plus parce qu’elle se résume à une simple addition. J’ai 2 sœurs + 1 mère + 2 grands-mères + 2 tantes biologiques. Pouf ! Je suis la femme sur huit dans ma famille. Mon cancer du sein a accru le risque de mes deux jeunes, parfaites et magnifiques nièces en santé de recevoir ce diagnostic au cours de leur vie. Je ne suis plus juste leur tante. Je constitue maintenant leur antécédent familial. Je peine à accepter cette situation et je dois réprimer mes larmes quand j’y pense.
75 : Selon la Société canadienne du cancer, il s’agit du nombre de femmes qui reçoivent un diagnostic de cancer du sein chaque jour. Dans mon cas, c’est arrivé à Toronto le mardi 13 février 2018 à 10 h 25.
3 à 15 : C’est le pourcentage de femmes qui connaîtront une récidive de leur cancer du sein. Six fois par année, je pense à cette probabilité pendant que mon équipe d’oncologie examine mes seins à la recherche de nouvelles cellules cancéreuses.
56 : Le pourcentage de femmes dans la quarantaine qui ont les seins denses, selon Seins denses Canada. J’appartiens à cette catégorie, mais je ne l’ai pas su jusqu’à ce que je reçoive un diagnostic. Action Cancer Ontario stipule que les femmes doivent avoir au moins 50 ans au moment de subir leur première mammographie annuelle, alors je n’en avais jamais passé. En ce moment, le Groupe d’étude canadien insiste pour que ce dépistage ait lieu une fois tous les deux ou trois ans pour les femmes de 50 ans et plus seulement. C’est ridicule. Si j’avais suivi ces lignes directrices, je ne connaîtrais toujours pas l’existence de mon cancer, ce qui aurait pu se solder par un diagnostic à un stade plus avancé de la maladie. Les risques pour ma santé et ma vie s’en seraient trouvés accrus et les traitements, plus nombreux et plus coûteux. J’ai insisté pour obtenir une mammographie qui, en fin de compte, n’a pas détecté la bosse que je sentais sous mon aisselle droite, mais qui a au moins permis aux médecins de déterminer que j’avais les seins denses. Je devenais ainsi admissible à un examen d’IRM et à une échographie. Six mois plus tard, à la suite de mes demandes répétées, j’ai passé ces tests qui, en confirmant la présence de la bosse que je palpais, ont mené à de multiples biopsies qui ont établi que je souffrais d’un cancer.
4 à 6 : À la lumière des recherches menées par Seins denses Canada, les femmes qui ont les seins denses présentent de quatre à six fois plus de risque de recevoir un diagnostic de cancer du sein que les autres femmes.
16,3 : Il s’agit du pourcentage annuel de femmes âgées de 30 à 49 ans qui reçoivent un diagnostic de cancer du sein selon Rethink Breast Cancer. Ce pourcentage se situe à 49,7 pour cent chez les femmes de 50 à 69 ans. Je fais partie du 16,3 pour cent. Alors que seulement 8 pour cent des 49,7 pour cent décèderont du cancer du sein annuellement, ce pourcentage double chez le groupe des 30 à 49 ans.
6 : Selon le Canadian Breast Cancer Support Fund, il s’agit du nombre minimum moyen de mois de congé que les médecins recommandent aux femmes de prendre pour se remettre de leur opération ou de leur traitement. J’ai pris deux semaines et oui, c’était une mauvaise décision. À l’époque, la compagnie pour laquelle je travaillais n’offrait pas de prestations d’invalidité de courte durée. Tout était très hiérarchisé et ma patronne était méchante. Même si j’ai demandé de l’aide et que j’ai proposé au service des ressources humaines de la compagnie quelques solutions, on m’a dit d’utiliser mes deux semaines de vacances et mes cinq jours de congé de maladie pour satisfaire mes besoins médicaux. Craignant de perdre mon emploi, j’ai accepté. J’ai même rédigé et remis de nombreux plans d’action concernant les mesures que j’allais prendre pour maintenir ma productivité tout en subissant mes traitements. Je leur ai affirmé que je devais travailler pour me sentir normale, et c’était vrai. Il aurait été trop stressant de m’inquiéter au sujet de mon cancer tout en ayant peur de perdre mon emploi. Environ 24 semaines plus tard, au moment où je ne guérissais pas adéquatement et que j’étais épuisée, mes médecins ont ordonné que je travaille à temps partiel pendant six mois. Je travaillais trois jours par semaine et, pendant les trois premiers mois, mon ancien employeur n’a pas diminué mon salaire. Je leur en serai toujours reconnaissante, pour cela au moins. Au risque de passer pour une martyre, je dois affirmer qu’il est extrêmement difficile d’avoir un cancer du sein quand vous êtes célibataire, que vous travaillez dans un environnement où le soutien s’avère inexistant et que votre famille habite dans une province éloignée de la vôtre. Personne ne peut payer votre hypothèque, faire votre épicerie et vous dire que tout ira bien. Alors vous faites ce que vous pouvez pour vous en sortir.
15 : Selon le Canadian Breast Cancer Support Fund, il s’agit du nombre de semaines durant lesquelles les personnes atteintes d’un cancer peuvent recevoir des prestations de l’assurance-emploi. Il s’agit d’une fraction de votre salaire et tous n’y sont pas admissibles, mais c’est là.
38 : La moyenne du nombre de semaines que passent les femmes en traitement, selon la Société canadienne du cancer. Après mon intervention chirurgicale, j’ai subi des traitements quotidiens de radiothérapie pendant plus de deux mois et, depuis deux ans, j’ingère tous les jours un cocktail de médicaments qui comprend une chimiothérapie.
14 : Selon la Société canadienne du cancer, il s’agit du nombre de femmes qui meurent du cancer du sein chaque jour. Je refuse de faire partie de cette statistique. C’est la raison pour laquelle je fais des dons pour la recherche et pour laquelle je parle sans arrêt des répercussions qu’a le cancer du sein sur nous tous.
Adriana Ermter est une auteure et rédactrice primée. Vous pouvez lire ses écrits dans Figure Skater Fitness et IN Magazine, ainsi qu’en ligne sur les sites 29Secrets.com, RethinkBreastCancer.ca, Popsugar.com et AmongMen.com. L’ancienne chroniqueuse beauté du magazine FASHION et rédactrice en chef de Salon et Childview habite à Toronto avec sa chatte très gâtée Trixie-Belle. Vous pouvez la suivre sur Instagram au @AdrianaErmter