Par le Dr Jawaid Younus, oncologue médical et hématologue au London Health Sciences Centre
Nous savons tous ce qu’est un médicament générique : une reproduction exacte de la formule chimique connue du médicament d’origine. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les médicaments génériques peuvent être fabriqués en grande quantité à un coût inférieur. Pour y parvenir, les fabricants de produits génériques doivent fournir la preuve que leur version constitue une copie conforme de la formule chimique du médicament initial et qu’elle est métabolisée de la même façon que le produit original chez les personnes en bonne santé. Ce processus abrégé d’approbation par Santé Canada ou par un autre organisme de réglementation représente un fardeau financier moindre pour les fabricants et procure un avantage considérable : un prix nettement plus bas qui se solde par une meilleure accessibilité pour les patients.
Les médicaments qui découlent d’un système biologique (des cellules, des bactéries, etc.) sont appelés médicaments biologiques. Ils sont couramment utilisés en oncologie, en rhumatologie et dans d’autres domaines de la médecine. La copie d’un médicament biologique d’origine se nomme médicament biosimilaire. Puisque les médicaments biologiques sont en fait des structures hautement complexes, les biosimilaires pourraient ne pas être des reproductions exactes de la molécule originale. Santé Canada évalue les biosimilaires en tant que nouveaux médicaments en vertu de la Loi sur les médicaments et les drogues et du Règlement sur les médicaments et les drogues. Santé Canada a recours à la Direction des produits biologiques et des thérapies génétiques et à la Direction des produits de santé commercialisés pour examiner et traiter les demandes d’autorisation d’un nouveau biosimilaire. La capacité immunogène, c’est-à-dire la capacité d’induire une réponse immunitaire et, souvent, un ou plusieurs paramètres d’efficacité sont testés auprès de vrais patients dans le cadre d’un essai clinique même si la structure du biosimilaire est semblable à la molécule de référence. Des étapes de fabrication complexes jumelées à une évaluation qui comprend un essai clinique occasionnent des dépenses additionnelles pour les fabricants. On ne s’attend donc pas à ce que les biosimilaires deviennent aussi peu coûteux que les génériques.
Il subsiste plus de questions que de réponses dans le secteur émergent des biosimilaires. Le simple fait d’ajouter les biosimilaires en tant que nouvelle « entité » à la liste des options thérapeutiques nécessite un certain apprentissage de la part des cliniciens. Devrions-nous remplacer les molécules originales par des biosimilaires comme nous le ferions avec des médicaments génériques ? Est-ce qu’un patient qui reçoit un traitement par anticorps devrait plutôt recevoir un biosimilaire ? Il n’existe pas de recommandations normalisées ou même de lignes directrices pour orienter la prise de décisions. Cette situation représente donc un défi pour les médecins traitants. En outre, devrions-nous discuter du changement de médicament ou du recours à un biosimilaire avec nos patients ? Dans le monde de l’oncologie, l’objectif du traitement s’avère extrêmement important ; l’approche à l’égard du traitement diffère selon qu’il s’agit d’un traitement adjuvant ou du traitement d’une maladie à un stade avancé. On peut supposer que l’intégration des biosimilaires s’avérera relativement facile dans les cas où l’affection est rendue à un stade avancé puisque l’intention du traitement est de contrôler la maladie, d’atténuer les symptômes et de prolonger la survie sans progression et la survie globale. Cette approche pourrait fournir suffisamment d’expérience aux médecins qui deviendraient plus à l’aise avec le produit. Elle paverait ainsi la voie à l’adoption des biosimilaires en contexte adjuvant où l’objectif est de prévenir ou de guérir.
Notre expérience avec les médicaments génériques diffère. Même si ces derniers varient quelque peu de leurs molécules originales respectives, nous ne discutons jamais de leur utilisation avec nos patients. Nous employons couramment des médicaments chimiothérapeutiques et anti-estrogéniques génériques dans le cadre de traitements adjuvants et de traitements de la maladie à un stade avancé. Alors pourquoi devrions-nous nous préoccuper du recours aux biosimilaires dans ces cas ? Cette inquiétude découle du fait que les biosimilaires sont considérés comme de nouveaux médicaments et qu’ils font l’objet d’un ou de plusieurs essais cliniques pour analyser leur efficacité et leur innocuité, entre autres. Est-ce qu’un seul essai clinique dans des circonstances précises fournit suffisamment de preuves pour autoriser l’utilisation du biosimilaire pour ce stade de cancer ? Le problème demeure si le biosimilaire est testé en contexte de maladie à un stade avancé : devrions-nous nous sentir à l’aise d’y avoir recours à d’autres stades comme traitement adjuvant ou néoadjuvant ? Émettons une autre hypothèse : un biosimilaire qui a été approuvé après un essai clinique auprès de patientes atteintes d’un cancer du sein à un stade avancé pourrait-il être employé pour soigner des personnes souffrant d’un cancer de l’œsophage ou de l’estomac ? Le médicament biologique de référence a dû faire l’objet de multiples essais cliniques à tous les stades de la maladie et de séries d’essais cliniques semblables pour tous les types de cancer pour lesquels il est approuvé.
La surveillance effectuée par Santé Canada après la commercialisation des biosimilaires fournit quelques réponses au sujet de l’innocuité des biosimilaires. Cependant, les paramètres d’efficacité s’avèrent compliqués et difficiles à appliquer. Il sera extrêmement ardu pour un clinicien seul ou même un centre anticancéreux de recueillir adéquatement des données sur l’efficacité des biosimilaires de manière longitudinale.
Il existe un autre point de vue à toute cette histoire des biosimilaires. De nombreux fabricants en produiront. Cela représentera un défi pour les autorités responsables du remboursement des médicaments puisque, idéalement, tous les biosimilaires devraient être offerts comme options de traitement. Est-ce que la décision d’en choisir un plutôt qu’un autre reviendra aux médecins ou aux pharmaciens ? En Ontario, les cliniciens et les pharmaciens sont obligés de recourir à un seul biosimilaire de facteur de croissance hématopoïétique G-CSF dans les limites de l’utilisation permise. Ainsi, le ministère de la Santé, par le biais des remboursements, peut avoir le dernier mot sur l’emploi d’un biosimilaire précis.
Essentiellement, les biosimilaires demeurent semblables aux médicaments génériques. Nous aimerions que tous les patients admissibles aient un meilleur accès à moindre coût à ces molécules biologiques complexes. Dans ce contexte, nous souhaiterions à la fois veiller à l’innocuité et à l’efficacité du produit de même qu’avoir la liberté de choisir l’option de traitement qui convient le mieux à nos patients. Nous espérons qu’à mesure que nous aurons de l’expérience avec les biosimilaires et que nous y serons exposés, les cliniciens, les pharmaciens et les organismes de réglementation obtiendront de meilleures réponses et solutions.