Les traitements contre le cancer évoluent rapidement. Grâce à la découverte de nouveaux moyens de cibler les tumeurs, les chercheurs mettent au point des médicaments qui sont de plus en plus précis et efficaces. Mais ces nouveaux traitements doivent passer par de longs processus d’approbation avant de pouvoir être accessibles par les patients. Non seulement, leur innocuité et leur efficacité doivent être approuvées par les organismes de réglementation, comme Santé Canada et l’Agence des médicaments du Canada (anciennement Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé ou ACMTS), mais ils doivent également faire l’objet de négociations de prix entre les fabricants et les gouvernements provinciaux par l’entremise de l’Alliance pharmaceutique pancanadienne. Ces négociations servent à déterminer le prix payé par chaque Province aux fabricants une fois que le médicament est pris en charge par le régime provincial d’assurance-médicaments.
Bien que ces processus soient robustes et complets, ils retardent l’accès des patients aux derniers traitements — cela peut parfois aller jusqu’à quatre ans. Entre 2010 et 2014, sur 21 pays au développement équivalent, le Canada s’est classé 17e en matière de rapidité d’accès aux traitements anticancéreux. Le nombre de médicaments ayant reçu une autorisation de mise sur le marché en Europe et aux États-Unis, puis au Canada est passé de 86 % en moyenne entre 2006 et 2017 à tout juste 50 % en 2020. Or, l’obtention de toutes les approbations nécessaires ne garantit pas la prise en charge par les régimes provinciaux d’assurance-médicaments, ce qui peut empêcher certaines personnes d’avoir accès à des traitements vitaux abordables.
C’est la raison pour laquelle 18 spécialistes cliniciens canadiens en oncologie issus des domaines de la médecine, de l’infirmerie et de la pharmacie se sont réunis pour élaborer un ensemble de recommandations visant à améliorer les processus et les délais actuels liés à l’approbation des nouveaux médicaments et à leur accessibilité. Nous vous offrons, aujourd’hui, un résumé de leurs recommandations et de leurs discussions afin que vous voyiez comment certains des meilleurs spécialistes canadiens en oncologie militent en faveur d’un meilleur accès aux tout derniers traitements.
Leurs discussions n’avaient pas pour objectif que chaque médicament soit pris en charge par les régimes provinciaux d’assurance-médicaments, mais plutôt de démontrer qu’il existe des consensus parmi les spécialistes en oncologie concernant les changements à apporter au système afin d’améliorer les normes de rendement, les délais, les responsabilités et les objectifs. Pour ces spécialistes, les besoins des patients ne sont pas satisfaits et il est nécessaire de mettre en place des processus raisonnables qui permettent de satisfaire ces besoins.
La principale méthode utilisée pour recueillir les opinions et les points de vue des participants était un questionnaire. Ce questionnaire avait pour but d’évaluer la compréhension des participants des problèmes liés à l’approbation et à l’accessibilité des médicaments, et au remboursement des médicaments par les régimes provinciaux d’assurance-médicaments, leur connaissance de ces processus, ainsi que le nombre de leurs patients ayant des difficultés à accéder aux traitements. En se basant sur les réponses des participants à ce questionnaire et sur les entretiens menés en personne, des consensus ont été obtenus concernant les cinq points suivants :
- Responsabilités : il est essentiel que les responsabilités entre l’approbation des médicaments par les organismes de réglementation et le financement public des soins médicaux soient clarifiées. Il y a un fort consensus (89 %) concernant le raccourcissement à six mois tout au plus des délais d’approbation — de l’examen des données à la décision de financement, qui varient actuellement entre deux et quatre ans. En outre, la plupart des participants (94 %) souhaiteraient que l’Alliance pharmaceutique pancanadienne reconnaisse le cancer comme une maladie exceptionnelle et que les négociations tarifaires débutent dans le mois suivant l’émission d’une recommandation positive de la part de l’Agence des médicaments du Canada.
- Disparités au sein et entre les systèmes : des postes de spécialistes en remboursement des médicaments doivent être financés afin d’aider les patients à recevoir les traitements qui leur sont prescrits. De plus, les participants ne voient pas pourquoi les processus d’approbation de l’Agence des médicaments du Canada (AMC) et de l’Institut national d’excellence en santé et en service sociaux (INESSS) — l’équivalent de l’AMC au Québec — ne pourraient pas être intégrés et pourquoi l’AMC ne pourrait pas considérer la « valeur sociétale » des médicaments comme le fait l’INESSS. Cette valeur sociétale comprend l’impact des médicaments sur la santé publique, la qualité de vie globale et les avantages économiques qu’ils peuvent avoir pour la population. Enfin, 83 % des participants s’accordent à dire que le processus de décision des gouvernements provinciaux concernant la prise en charge des médicaments devrait se faire dans le mois.
- Acceptation des critères d’évaluation des essais cliniques : les processus réglementaires doivent être rationalisés et mis à jour afin de s’adapter à la rapidité des découvertes médicales émergentes. En effet, aujourd’hui, le système est dépassé par la rapidité avec laquelle les médicaments sont développés, testés cliniquement, puis soumis à approbation. Les critères d’évaluation utilisés dans les essais cliniques pour évaluer l’innocuité et l’efficacité des médicaments sont essentiels pour comprendre les avantages présentés par ceux-ci. Une meilleure acceptation de certains critères d’évaluation communs, comme la survie sans progression et la survie sans récidive, devrait avoir lieu lors de l’évaluation des nouveaux médicaments. Les participants se sont également accordés à dire que les données concrètes, c’est-à-dire les données recueillies dans la pratique clinique quotidienne, devraient être prises en considération par Santé Canada et l’Agence des médicaments du Canada.
- Accès rapide aux nouveaux traitements anticancéreux : outre la réduction des délais d’examen et d’approbation des nouveaux médicaments mentionnés ci-dessus, il faut mettre en place des programmes d’accès spéciaux afin que les patients puissent bénéficier des nouveaux traitements avant même que ceux-ci ne soient approuvés ou disponibles. Cela permettrait aux patients d’avoir rapidement accès à des traitements remboursés contre des formes rares de cancer, de bénéficier d’autres traitements lorsque leurs besoins ne sont pas satisfaits ou encore de bénéficier de traitements avant-gardistes. Les traitements qui feraient l’objet de recommandations négatives ne seraient plus pris en charge par les régimes provinciaux d’assurance-médicaments. Pendant que les nouveaux traitements sont en cours d’approbation, ces programmes d’accès spéciaux peuvent non seulement aider les patients à bénéficier de ces traitements, mais également apporter de nouvelles preuves de leur efficacité.
- Rapport coût-efficacité pour le système : 83 % des participants souhaitent que le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés reconnaisse le cancer et les maladies rares comme étant des maladies uniques ainsi que la mise en place de processus de fixation des prix distincts pour les médicaments liés à ces maladies. Ils pensent également que l’actuel seuil de référence de 50 000 $ par année de vie ajustée en fonction de la qualité ou QALY (quality-adjusted life year) établi pour le rapport coût-efficacité est obsolète et inapproprié. Le QALY sert à évaluer à quel point différents types de traitements permettent de rallonger ou d’améliorer la vie des patients et, à ce titre, est devenu une composante fondamentale des analyses de rapports coût-efficacité depuis plus de 30 ans dans le monde entier. Tous les participants se sont accordés à dire que le coût de 50 000 $ n’était plus approprié, puisque cela fait depuis les années 80 qu’il n’a pas été revu ni indexé sur l’inflation, l’augmentation des coûts des médicaments ou la complexité des nouveaux traitements.
Au Canada, lorsqu’un médicament reçoit l’autorisation de mise sur le marché, cela ne signifie pas que celui-ci sera immédiatement offert par les régimes d’assurance-médicaments provinciaux. Il arrive que l’approbation des nouveaux médicaments prenne des mois ou des années, ou qu’ils ne soient tout simplement pas approuvés. Cet examen de la situation par des spécialistes canadiens en oncologie ainsi que les consensus atteints en matière de recommandations montrent à quel point les processus d’approbation actuels demandent du temps et des ressources, et peuvent parfois dissuader les fabricants à lancer leurs nouveaux traitements au Canada, limitant ainsi le nombre de traitements disponibles au pays. Ils soulignent également l’importance d’un processus d’évaluation transparent des médicaments et d’un accès rapide aux traitements anticancéreux pour les patients canadiens.
Ceci est un résumé condensé de cet article (en anglais).
À propos des auteurs de l’article original
Auteurs : Sandeep R. Sedhev, Nigel S. B. Rawson, Olexiy I. Aseyev, Catriona J. Buick, Marcus O. Butler, Scott Edwards, Sharlene Gill, Joanna M. Gotfrit, Cyrus C. Hsia, Rosalyn A. Juergens, Mita Manna, Joy S. McCarthy, Som D. Mukherjee, Stephanie L. Snow, Silvana Spadafora et David J. Stewart, Jason R. Wentzell, Ralph P. W. Wong et Pawel G. Zalewski.
Dix-huit spécialistes canadiens en oncologie ont participé aux entretiens ayant mené à ces recommandations — 15 oncologues médicaux, 2 pharmaciens en chef en oncologie et 1 infirmier ou infirmière en oncologie travaillant en Ontario, en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador. Le seuil de consensus était fixé à 80 %. Le questionnaire ayant été utilisé pour les discussions comprenait 38 questions et a été élaboré par l’auteur principal, le Dr Sedhev, qui fait par ailleurs partie du comité médical consultatif du RCCS.